Jacques Vallée Des Barreaux, La vie est un songe
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«
[Introduction]
Parmi les troubadours du XXe siècle, la postérité retiendra sans doute les noms de Juliette Gréco, de Léo Ferré, de
Jacques Brel qui, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ont réussi à redonner du lustre à la chanson française
en la sauvant de la niaiserie et de la vulgarité.
Georges Brassens fut aussi de ceux-là.
Par sa gaieté triste, sa poésie
libertaire et souvent irrévérencieuse, il s'employa à pourfendre le conformisme et l'hypocrisie.
Mais il a aussi chanté
l'amour, comme par exemple dans « Le vingt-deux septembre ».
Moins connue et moins spectaculaire que d'autres,
cette chanson n'est destinée ni à provoquer ni à scandaliser.
Le poète essaie d'en finir avec des amours défuntes et
de répondre à l'appel de la vie, mais il n'est pas sûr qu'il y réussisse.
[I.
La liquidation du passé]
[1.
L'adieu à l'amour]
Le 22 septembre, date anniversaire de la rupture d'une liaison amoureuse, est l'occasion pour le poète d'établir un
bilan.
La femme aimée a quitté le poète, c'est elle qui a pris l'initiative de la rupture, et elle est partie pour une
destination inconnue.
Malgré ces trois motifs de souffrance énoncés dans les trois premiers vers avec une désinvolture
et une gaieté sans doute forcées, il est resté fidèle à son souvenir durant » de longues années, comme le montre
l'emploi de l'imparfait de répétition (« je mouillais », v.
3 ; « je montais », v.
14 ; « j'arrosais », v.
21), des adverbes («
depuis », « jadis ») et des compléments de temps (« chaque année »).
Mais par le jeu des temps verbaux, imparfait,
présent et futur, le poète va opposer le passé douloureux à un présent et à un avenir qu'il veut plus sereins.
Cette
opposition structure les strophes 1,3 et 4 : les trois premiers vers y sont consacrés au passé, les trois derniers au
présent.
Elle peut être renforcée par l'opposition des adverbes, comme dans- la troisième (« jadis », « à présent ») ou
de mots de la même famille (« immortelles » et « mort » dans la quatrième).
Maintenant le temps des larmes est révolu
; le poète constate, dans la première strophe, qu'il n'éprouve plus de douleur :
« Or, nous y revoilà, mais je reste de pierre » (v.
4).
Mouchoir et regrets éternels vont bientôt être rangés au magasin des accessoires et le refrain affirme avec force, par
le détachement de l'adverbe « aujourd'hui » entre deux virgules, que cet adieu est définitif et qu'un tournant décisif a
été pris.
[2.
Le refus de perpétuer le souvenir]
Le choix de la date anniversaire de la séparation aurait pu porter le poète à l'expression lyrique de sa peine, dans la
tradition des poètes romantiques, qui, depuis que Chateaubriand ouvrit la voie dans son roman René, ont trouvé dans
la chute des feuilles mortes et les migrations des oiseaux des symboles de la fuite du temps, de la fuite de l'amour et
de la mélancolie qu'elles engendrent l'une et l'autre.
Mais le poète refuse de continuer à perpétuer le souvenir d'un
amour défunt par des élans qui peuvent s'avérer dangereux, tel celui auquel incitait « le complexe d'Icare », dans la
troisième strophe, ou, plus simplement par le fétichisme des objets du souvenir pieusement entretenu jusque-là,
bouquet d'immortelles ou « bout de dentelles » (v.
19-20).
Il donne gaiement congé à tout ce bric-à-brac romantique
en détournant, au passage, un joli poème de Prévert de son sens et en traitant cavalièrement son grand aîné :
« Que le brave Prévert et ses escargots veuillent Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles ».
[3.
La révolte contre le culte du malheur]
Bien plus, il se révolte contre ce culte du malheur auquel il a sacrifié si longtemps.
Il n'énumère complaisamment les
rites du culte amoureux que pour en faire ressortir le ridicule : il pleurait sur commande, il versait même des torrents de
larmes («j'arrosais de pleurs », v.
21), il voulait monter au ciel.
Au vers 15, une chute brutale présentée avec
cocasserie (« me rompais les os en souvenir de vous ») punit l'imprudent et, au vers 2, l'archaïsme « susdite » jette
quelque suspicion sur la sincérité de ces pleurs versés à intervalles réguliers.
Dans les deux exemples, le sourire naît de
ce que Bergson appelait « du mécanique plaqué sur du vivant » : les pleurs ont quelque chose d'automatique ; le désir
d'évasion avorte parce que l'homme a beau ouvrir ses bras, ils ne sauraient remplacer « une paire d'ailes ».
Cette
révolte est sans doute née d'une prise de conscience, suggérée dans la dernière strophe par l'aveu d'une d'insensibilité
progressive probablement liée à l'âge : « le petit bout de cœur qui me reste », « ses cendres s'éteignent ».
Le cœur
usé du poète n'a peut-être plus la force d'aimer.
[II.
L'appel de la vie]
[1.
La volonté d'oublier]
Contrairement à Apollinaire, qui répète : « Je ne veux jamais l'oublier » (« Chanson du mal-aimé »), notre poète affirme
à de multiples reprises qu'il veut tourner la page.
Des mots à connotation négative tels que « m'abandonne », «
s'éteignent » et l'emploi répété de la négation « ne...
plus », qui exprime l'idée d'un avenir complètement différent du
passé, en témoignent : « plus une seule larme » (v.
5), « ne fera plus l'automne » (v.
17), « ne traversera plus » (v.
26).
En outre, dans les deuxième et cinquième strophes, l'opposition entre le passé et le présent est abandonnée au
bénéfice du seul futur : les verbes principaux sont au futur, au besoin renforcés par « désormais » (v.
25).
Enfin, par le
jeu des métaphores, il suggère un changement radical.
Quand, jouant sur le proverbe « une hirondelle ne fait pas le
printemps », il annonce que : « L'hirondelle en partant ne fera plus l'automne », il veut dire par cette image qu'il ne
permettra plus que le 22 septembre soit un jour de deuil, de souvenir et de tristesse.
Mais le meilleur moyen de prendre ses distances avec le passé et de se garder à l'avenir de vains regrets et de
douloureux attendrissements sur la femme aimée ou sur lui-même est l'humour.
Présent dans chaque strophe, il
détourne le poète du chagrin pour faire voir la vie sous un jour riant.
L'allusion littéraire dans la deuxième strophe, le.
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