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Jean Anouilh

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Le théâtre d'après la Libération est marqué par la présence de deux équipes d'auteurs bien distinctes : d'une part les écrivains qui, comme Achard ou Salacrou, ont survécu à l'épreuve de l'occupation et dont l'après-guerre a consacré le talent ; d'autre part, ceux qui, comme Montherlant, Marcel Aymé, Ionesco ou Dubillard, n'ont commencé leur carrière que depuis 1940. Comme il est normal, la plupart des premiers ont continué à s'adresser surtout aux spectateurs de leur génération, et se sont parfois trouvés coupés d'une importante partie du jeune public, alors que les plus récents auteurs révélés à la scène ont pour soutien actif les jeunes gens de quinze à vingt-cinq ans. Entre ces deux équipes, Jean Anouilh occupe une place particulière, car, s'il n'a rien perdu de ses fidélités d'avant-guerre, il a néanmoins continué à garder le contact avec les nouvelles générations : ce simple fait indique assez l'importance exceptionnelle de son oeuvre. Je crois qu'il s'explique surtout par une volonté permanente d'engagement, liée chez Jean Anouilh à une permanente jeunesse. Il y a chez lui, en effet, malgré l'indéniable amertume qui n'a cessé de s'accentuer depuis ses premiers ouvrages, une générosité d'attitude, une sorte de don-quichottisme juvénile qui ne pouvait manquer de lui attirer la sympathie des garçons et des filles de vingt ans. Chacune de ses pièces est une vague d'assaut contre l'hypocrisie sociale, la bêtise des nantis, l'injustice politique. Elle exprime une profonde tendresse pour les pauvres, pour les anxieux, pour les inadaptés. En même temps elle témoigne d'un sens du comique très sain et vigoureux. Toutes ces caractéristiques ne peuvent qu'entraîner l'adhésion d'un public d'avant-garde qui désire avant tout que le théâtre exprime ses aspirations, et qu'il ne se dérobe pas aux problèmes de son époque.

« Jean Anouilh Le théâtre d'après la Libération est marqué par la présence de deux équipes d'auteurs bien distinctes : d'une part les écrivains qui, comme Achard ou Salacrou, ont survécu à l'épreuve de l'occupation et dont l'après-guerre a consacré le talent ; d'autre part, ceux qui, comme Montherlant, Marcel Aymé, Ionesco ou Dubillard, n'ont commencé leur carrière que depuis 1940.

Comme il est normal, la plupart des premiers ont continué à s'adresser surtout aux spectateurs de leur génération, et se sont parfois trouvés coupés d'une importante partie du jeune public, alors que les plus récents auteurs révélés à la scène ont pour soutien actif les jeunes gens de quinze à vingt-cinq ans. Entre ces deux équipes, Jean Anouilh occupe une place particulière, car, s'il n'a rien perdu de ses fidélités d'avant-guerre, il a néanmoins continué à garder le contact avec les nouvelles générations : ce simple fait indique assez l'importance exceptionnelle de son oeuvre. Je crois qu'il s'explique surtout par une volonté permanente d'engagement, liée chez Jean Anouilh à une permanente jeunesse.

Il y a chez lui, en effet, malgré l'indéniable amertume qui n'a cessé de s'accentuer depuis ses premiers ouvrages, une générosité d'attitude, une sorte de don-quichottisme juvénile qui ne pouvait manquer de lui attirer la sympathie des garçons et des filles de vingt ans. Chacune de ses pièces est une vague d'assaut contre l'hypocrisie sociale, la bêtise des nantis, l'injustice politique.

Elle exprime une profonde tendresse pour les pauvres, pour les anxieux, pour les inadaptés.

En même temps elle témoigne d'un sens du comique très sain et vigoureux.

Toutes ces caractéristiques ne peuvent qu'entraîner l'adhésion d'un public d'avant-garde qui désire avant tout que le théâtre exprime ses aspirations, et qu'il ne se dérobe pas aux problèmes de son époque. La recherche incessante de Jean Anouilh vers des techniques nouvelles, la virtuosité avec laquelle il se joue des difficultés traditionnelles de la composition dramatique correspondent également à l'attente d'une génération qui supporte mal les contraintes de la scène italienne et du théâtre bourgeois. Cependant, il semble que des oeuvres aussi réussies que l'alouette ou Becket ne provoquent pas chez les jeunes gens des années 1960 la même ferveur d'enthousiasme que la Sauvage ou le Voyageur sans bagage chez leurs aînés. Quand fut présenté la Sauvage, nous avons eu le sentiment non seulement qu'un accent nouveau était entendu sur la scène, mais encore que la révolte d'Anouilh était la nôtre.

C ette pièce était baignée dans une atmosphère de tendresse et le problème des rapports des riches et des pauvres était encore un des problèmes essentiels qui se posaient à nous.

Le pessimisme réaliste de Jean Anouilh exprimait courageusement la fin du mensonge romantique et nous lui étions reconnaissants de montrer si courageusement que la bonne volonté, la sincérité et l'amour lui-même se heurtaient à une incompréhension fatale venue de l'incompatibilité quasi absolue entre les systèmes d'éducation et des exigences vitales liés aux réalités de classe.

Aujourd'hui, les épreuves de la dernière guerre, l'expérience de l'exode, de l'occupation, de la Résistance, des camps de concentration et, pour finir, de la bombe atomique, ont posé le problème de l'incommunicabilité des êtres sur un plan beaucoup plus vaste et qui met en cause la condition humaine elle-même.

C'est sans doute pourquoi les dernières oeuvres d'Anouilh émeuvent moins la jeunesse que ne l'ont fait En attendant Godot ou le Rhinocéros qui expriment le sentiment presque métaphysique de la solitude de l'homme. D'autre part, les récentes pièces d'Anouilh dégagent peut-être le sentiment d'une certaine rancoeur presque individuelle plutôt que d'une véritable révolte.

L'originalité et le courage d'Anouilh font que sa lutte contre le régime et les hommes de la Ve République s'exerce sur un plan qui ne correspond à aucune des structures politiques actuelles.

Anouilh n'est ni communiste, ni O.A.S., il n'a pas pris parti publiquement pour ou contre la guerre d'Algérie, ni en général, pour ou contre le gaullisme.

Mais il montre par la caricature et par son système favori qui est l'analogie historique, la médiocrité et les contradictions d'un régime dont la volonté de grandeur ne le convainc pas.

C ette attitude, par son individualisme, déçoit un peu une jeunesse qui considère que ces problèmes sont dépassés et que, si actuel qu'il soit, le théâtre de Jean Anouilh traduit trop visiblement des préoccupations plus rattachées aux problèmes d'un passé que l'on s'accorde à condamner que d'un avenir où la jeunesse s'effraie de ne voir paraître aucune lueur d'espoir.

Par comparaison, le pessimisme de Beckett, de Ionesco ou de Dubillard apparaît moins négatif parce qu'il embrasse la condition humaine tout entière et que cette vision, paraissant plus réaliste, paraît en même temps plus virile que les condamnations partielles du théâtre d'Anouilh. Ainsi, tout en restant présent et passionnément discuté alors que les écrivains de sa génération littéraire ont pour la plupart décroché d'avec l'avant-garde, Jean Anouilh séduit probablement plus par sa sincérité, son courage, sa fougue, son extraordinaire expérience théâtrale que par les thèmes mêmes de son oeuvre.

Cela ne signifie nullement que celle-ci soit négligeable.

Si on lui reproche un pessimisme en somme plus caractériel que métaphysique ou même politique, on ne peut méconnaître ni la vigueur de sa verve comique, ni la générosité et parfois même la noblesse de certains thèmes comme celui de la foi dans l'Alouette ou de l'amitié dans Becket et peut-être que ce qui fait plus que tout la solidité de l'oeuvre d'Anouilh, c'est la richesse et le bonheur de son invention dramatique.

Pour reprendre la comparaison avec les auteurs du " Théâtre Nouveau ", Beckett et Ionesco, il est évident que, pour chacun de ceux-ci, le théâtre n'est qu'un moyen d'expression parmi d'autres.

Beckett est peut-être plus encore romancier qu'homme de théâtre ; quant à Ionesco, la plupart de ses pièces ont été tirées de nouvelles où il avait montré un génie d'écrivain au moins égal à celui qu'il affirme sur la scène ; c'est aussi un essayiste remarquable et ses adversaires savent à quel point il sait utiliser un article comme une arme défensive.

Jean Anouilh, au contraire, est exclusivement homme de théâtre, il est certainement le plus doué du XXe siècle.

Il est de la race des Lope de Vega, ou des Antoine Hardy.

Le théâtre lui sert de journal, il y fait la confidence de ses amours, il y inscrit ses fureurs et chacune de ses pièces garde le rythme de l'émotion spontanée.

Cette vie intérieure, cette fièvre haletante y sont d'autant plus admirables que la composition même de la pièce apparaît plus savante et affirme plus de maîtrise.

A une époque où les auteurs, comme ailleurs le public, ont de plus en plus tendance à laisser au second plan les problèmes de la technique théâtrale et vont jusqu'à en oublier les exigences les plus élémentaires, la virtuosité de Jean Anouilh lui permet d'atteindre une aisance qui paraît parfois presque désinvolte.

Mais les vrais amateurs de théâtre éprouvent un ravissement continuel à voir cette maîtrise suprême dominer un art que les autres négligent, faute d'en avoir appris les premiers éléments. A mesure que les années vont s'écouler et que le choc des souffrances et des angoisses va s'affaiblir, il est inévitable que les considérations esthétiques reprennent peu à peu leur importance essentielle.

A ce moment, le théâtre de Jean Anouilh se présentera sans doute mieux armé devant l'avenir que certains ne l'imaginent aujourd'hui.

L'histoire du théâtre est riche en réhabilitations de cette sorte et l'on voit aujourd'hui le technicien Feydeau l'emporter sur l'idéologue Dumas père.. »

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