Jean de SPONDE (1557-1595) - Qui sont, qui sont ceux-là, dont le coeur idolâtre
Extrait du document
«
Jean de SPO N DE ( 1557-1595)
« Qui s ont, qui s ont c eux-là, dont le c œur idolâtre… »
« Qui s ont, qui s ont c eux-là, dont le c œur idolâtre
Se jette aux pieds du M onde, et flatte s e s honneurs
Et qui s ont c e s valets , et qui s ont c e s Seigneurs ,
Et c e s â m e s d'Ebène, et c e s fac e s d'Albâtre ?
C e s m a s q u e s d é g u i s é s , dont la troupe folâtre
S ' a m u s e à c ares s er je ne s a i s q u e l s donneurs
De fumées de Cour, et c e s entrepreneurs
De vainc re enc or le Ciel qu'ils ne peuvent c ombattre ?
Qui s ont c e s l o u v o y e u r s qui s 'éloignent du Port ?
H o m m a g e r s à la Vie, et félons à la M ort,
Dont l'étoile es t leur Bien, le Vent leur fantais ie ?
Je vogue en même mer, et c raindrais de périr
Si c e n ' e s t que je s a i s que c e t t e m ê m e v i e
N'es t rien que le fanal qui me guide au mourir ».
Dans ce sonnet parfaitement régulier, Jean de Sponde reprend des traits caractéristiques de l’esthétique baroque, esthétique dominante de son temps.
En effet, ce texte décrit « l’idolâtrie » des hommes de son temps, qui consacrent leur existence à flatter les puissants au lieu de la vouer au culte de la vérité et de la religion.
Ce monde d’apparence ou les âmes et les faces se contredisent est fortement critique par Sponde, qui, dans une perspective annonçant Pascal au siècle suivant, la
trouve coupable de « divertissement » : les hommes consument leur vie dans l’erreur au lieu de se tourner vers la vérité du culte.
Nous nous demanderons donc, en étudiant ce poeme, dans quelle mesure la critique du divertissement des contemporains de Sponde est une invitation implicite à vivre notre existence avec la pensée constante de la mort et de la religion.
Si dans un premier temps nous pouvons étudier ce texte comme un parfait exemple de sonnet régulier et de sonnet inscrit dans l’esthétique baroque, nous verrons ensuite qu’il se caractérise par le fait qu’il critique la société de cour de son temps, le jeu des apparences et de l’orgueil qui s’y donne cours sans cesse.
Nous verrons dans un dernier temps qu’il peut se lire comme unmemento mori, a savoir comme une invitation a conserver présente a l’esprit l’idée de la mort afin de
consacrer sa vie a la religion plutôt qu’a l’erreur et a la vacuité incarnée par la société curiale.
I.
Un sonnet caractéristique de l’esthétique baroque
a.
Un sonnet parfaitement régulier
Nous c o m m e n c erons par étudier c e texte en fonc tion de la forme qui es t la s ienne.
En effet, nous p o u v o n s c o n s tater que le poème de Sponde es t un s onnet parfaitement regulier.
Nous trouvons d a n s c e texte toutes les c arac téris tiques du s onnet : il s ’ a g i t d ’ u n p o è m e c o m p o s e de deux quatrains et d’un s i z ain, jouant s ur une alternanc e de rimes (les rimes s ont embras s é e s d a n s les quatrains , s u i v i e s et c rois é e s d a n s le s i z ain).
Sponde manie parfaitement les a l e x a n d r i n s en res p e c tant rigoureus ement la c é s ure a l’hémis tic he («N'es t rien que le fanal // qui me guide au mourir »).
Quant aux rimes , elles s e m a n i f e s tent par leur ric h e s s e, c ' e s t-à-dire par le fait qu’elles c om
b.
Les traits caractéristiques de l’esthétique baroque
Mais ce sonnet n’est pas seulement canonique parce qu’il respecte les règles de ce genre poétique rigoureux qu’est le sonnet, mais aussi parce qu’il s’inscrit entièrement dans l’esthétique baroque.
En effet, l’esthétique baroque se caractérise par l’accent porte sur l’idée que les êtres et les choses sont contingents, fugitifs, que rien dans le monde ne se maintient éternellement tel qu’il est.
A ce titre, deux thèmes sont récurrents dans cette esthétique : celui du miroir et celui de la mer.
Le
miroir symbolise l’idée que tout dans le monde n’est qu’apparence (« La vie est un songe et les songes rien que des songes » écrivait le grand poète espagnol Calderon de la Barca) et la mer l’idée de l’impermanence d’un monde transitoire.
Nous retrouvons cette philosophie implicite et ces symboles dans le texte de Sponde :
C e s m a s q u e s d é g u i s é s , dont la troupe folâtre
S ' a m u s e à c ares s er je ne s a i s q u e l s donneurs
De fumées de Cour, et c e s entrepreneurs
De vainc re enc or le Ciel qu'ils ne peuvent c ombattre ?
Le motif du mas q u e e s t c arac téris t i q u e d e l a p o é s ie baroque, c ar il implique que les êtres ne s ont pas c e q u ’ i l s prétendent être et que la vérité de la rais on et du c œur es t toujours à perc er, obtenir, qu’elle n’es t jamais immédiatement donnée.
Quant a c e vers :
Je vogue en même mer, et c raindrais de périr
Il reprend le thème de l’existence considérée comme une mer, motif qui signifie que la vie humaine n’est rien d’autre que le jeu de l’apparence et de l’incertitude.
II.
La dénonciation d’un usage inadéquat de l’existence humaine
a.
Une vision critique de la société de cour
Nous quitterons pour le moment la c o n s idération générique pour nous intéres s er aux thèmes abordes par c e texte.
L’un des thèmes les plus importants es t la c ritique de la s o c iété de c our du temps de Sponde.
En effet, pour Sponde, c e u x q u i c o n s a c rent leur temps à flatter les puis s ants font un us a g e i n a d é q u a t d e l ’ e x i s tenc e humaine.
Le mot fondamental pour entendre c ette c ritique es t inc ontes tablement le mot « idolâtre » : en effet, les i n d i v i d u s e n q u e s tion s ont « idolâtres » (ac c u s ation p
Qui s ont, qui s ont c eux-là, dont le c œur idolâtre
Se jette aux pieds du M onde, et flatte s e s honneurs
Et qui s ont c e s valets , et qui s ont c e s Seigneurs ,
Et c e s â m e s d'Ebène, et c e s fac e s d'Albâtre ?
b.
La critique d’une vie sans préoccupation religieuse
Cette critique de la société de cour se comprend a la lumière de la pense religieuse de Sponde.
En effet, le thème de la religion et le thème de la mort sont aussi récurrents que fondamentaux dans son œuvre poétique.
Nous les trouvons notamment exprime dans le texte suivant, extrait de l’Essai de quelques poèmes chrétiens :
« Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,
Qui brave de la mort, sentira ses fureurs ;
Les Soleils hâleront ces journalières fleurs,
Et le temps crèvera ceste ampoule venteuse,
Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
Sur le verd de la cire esteindra ses ardeurs ;
L'huile de ce Tableau ternira ses couleurs,
Et ses flots se rompront à la rive escumeuse ».
Une idée centrale dans le texte qui nous occupe aujourd’hui est que la vie de cour, la vie consacrée à la louange des grands, est une vie qui se consume dans l’erreur, une vie mauvaise et détestable car elle se passe sans préoccupation religieuse.
La vie de Jean de Sponde (protestant converti au catholicisme, finalement rejette par les deux confessions en ce temps trouble qu’était le seizième siècle français des guerres de religion) témoigne de cette préoccupation religieuse constante
et de cette volonté de consacrer l’existence humaine, non a la vacuité des passions humaines (orgueil, gout du paraitre et du pouvoir…) mais a la vérité de la contemplation de Dieu.
Nous verrons en ce sens, dans le dernier temps de notre travail, que le poème de Jean de Sponde peut se lire comme un « memento mori », à savoir comme un rappel de la brièveté, de la fragilité de l’existence, et donc de la nécessité de consacrer cette dernière à Dieu et a la vérité.
III.
Une vanité littéraire
a.
Un « memento mori » poétique
Lorsque Jean de Sponde écrit :
Je vogue en même mer, et c raindrais de périr
Si c e n ' e s t que je s a i s que c e t t e m ê m e v i e
N'es t rien que le fanal qui me guide au mourir ».
La fin de son texte nous en délivre une clef de lecture fondamentale.
En effet, pour Jean de Sponde, la vie humaine ne doit pas être considérée indépendamment de son inévitable conclusion et des valeurs religieuses qui sont susceptibles de la guider.
Pour Sponde, la vie humaine doit entre vécue comme un moment transitoire précédant la mort, ce que nous invite à penser l’image conclusive de la vie « comme fanal qui guide au mourir ».
En ce sens, le texte de Sponde s’inscrit dans
toute une tradition esthétique qui perdurera jusqu’au dix septièmes siècle et qui est celle des vanités : par vanités, nous entendons ces tableaux représentante des emblâmes de la brièveté de la vie (cranes, fleurs fanées, sabliers…) et nous invitant à garder a l’esprit l’idée de notre mort prochaine.
Le texte de Sponde est un « memento mori » en ceci qu’il nous rappelle que la vie humaine est brevet, et s’achemine a la mort.
b.
L’invitation implicite à une vie religieuse
Cependant, une telle évoc ation de la brièveté de la vie n’es t ni gratuite, ni des tinée à dés e s pérer le lec teur de Sponde.
Ce dernier s e propos e plutôt de l’ac heminer a une vie qui ne s e préoc c uperait pas de c h o s e s futiles et trans itoires (Q ui s ont c e s l o u v o y e u r s qui s 'éloignent du Port ? / Hommagers à la Vie, et félons à la M ort, Dont l'étoile es t leur Bien, le Vent leur fantais ie ? ) m a i s qui au c ontraire s e tournerait vers la vérité, c ' e s t-à-dire dans la pers p e c tive de Sponde, vers la religion.
Cette derniè
Je vogue en même mer, et c raindrais de périr
Si c e n ' e s t que je s a i s que c e t t e m ê m e v i e
N'es t rien que le fanal qui me guide au mourir ».
Conclusion
Le poème de Sponde est un sonnet parfaitement régulier qui s’inscrit dans l’esthétique baroque.
Critique de la société de cour et du monde des apparences et de l’orgueil qui est le monde humain, il se présente à nous comme un « memento mori », une vanité littéraire nous invitant à consacrer les cours moments de notre existence terrestre, non a l’apparence, mais à la vérité incarnée d’après l’auteur par la religion..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Jean de SPONDE (1557-1595) - Mon coeur ne te rends point à ces ennuis d'absence
- Jean de SPONDE (1557-1595) - Les vents grondaient en l'air, les plus sombres nuages
- Jean de SPONDE (1557-1595) - Tout le monde se plaint de la cruelle envie
- Jean de SPONDE (1557-1595) - Quand le vaillant Hector, le grand rempart de Troie
- Jean de SPONDE (1557-1595) - Mortels, qui des mortels avez pris vostre vie