Jean-François MARMONTEL (1723-1799) - La neuvaine de Cythère
Extrait du document
Jean-François MARMONTEL (1723-1799) - La neuvaine de Cythère Dans un bosquet, dont l'amoureux feuillage En se courbant mariait son ombrage, Vénus dormait sur un gazon naissant ; Le coloris, la fraîcheur du bel âge. De la santé l'éclat éblouissant, Et les rondeurs d'un élégant corsage, Et d'un beau sein le tour appétissant, Et cette croupe et si blanche et si belle, Et mille attraits dont il n'est pas décent De peindre aux yeux l'image naturelle, Se déployaient sur ce corps ravissant. Dans le sommeil un songe caressant Flattait son sein, voltigeait sur sa bouche, D'un doigt folâtre appelait le désir, Et d'un coup d'aile éveillait le plaisir. Vénus soupire : une nouvelle couche De vermillon colore son beau teint. Son coeur ému se dilate et palpite, Et chaque instant redouble et précipite Le mouvement qui soulève son sein. Son oeil humide, à travers la paupière, Laisse échapper une douce lumière, Feu du désir, feu rapide et brillant, Qui de son coeur jaillit en pétillant. Elle touchait à ce moment où l'âme De ses liens est prête à s'envoler, Et n'attend plus qu'une bouche où sa flamme Par un soupir se plaise à s'exhaler. Un jeune faune ardent, nerveux et leste, Le coq brillant des nymphes d'alentour, Très éloquent de la voix et du geste, Et, comme un page, insolent en amour, Trouve à l'écart cette beauté céleste, S'arrête, admire, approche à petit bruit, Dévore tout d'un regard immodeste. "Ah ! c'est Vénus ; je reconnais le ceste, Dit-il ; Amour, c'est toi qui m'as conduit. Reine des coeurs, charme de la nature, Vénus, je brûle, et crains de te saisir !" Puis, d'une main soulevant la ceinture : "Le voilà donc le trône du plaisir ! Que de trésors ! ah ! brusquons l'aventure." Quelque novice eût trouvé le bonheur Dans un baiser ; le faune, moins timide, Va droit au fait, et la reine de Gnide, En s'éveillant, le nomma son vainqueur. Il faut savoir que, mollement penchée, À demi-corps Vénus était couchée ; L'un des genoux sur les fleurs est tendu ; Au bord du lit l'autre tient suspendu Le poids léger d'une jambe arrondie. À se poster le faune s'étudie : Sur les deux mains son corps est balancé ; Le trait perçant brûle d'être lancé ; Il le retient, il l'ajuste, il le glisse Si doucement, que le songe propice N'est dissipé qu'après être accompli. En s'envolant, un songe laisse un vide ; De celui-ci par un plaisir solide, La place est prise, et le vide est rempli. Vénus s'éveille : "Ah ! se peut-il qu'un songe S'écria-t-elle, agite ainsi mes sens ! Dieux ! quelle ardeur ! ce n'est point un mensonge ; Non ; je le vois, je le tiens, je le sens. Est-ce un mortel, un dieu qui me possède ? Qui que tu sois, ô mon cher ravisseur, À tes transports je pardonne, je cède : Pour être un crime ils ont trop de douceur."
Liens utiles
- Dans quelle mesure Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce consiste-t-elle, comme le dit François Berreur, en un « équilibre de tensions » ?
- Jean-François de SAINT-LAMBERT (1716-1803) - La bourrasque d'été
- Jean-François SARASIN (1604x-1654) - La beauté que je sers...
- Jean-François de SAINT-LAMBERT (1716-1803) - L'automne
- Jean-François de LA HARPE (1739-1803) - Les regrets