Jean Giono, Le Hussard sur le toit.
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Jean Giono, Le Hussard sur le toit.
[Angelo, le héros du livre, est exilé en France où il erre au milieu d'une épidémie de choléra. Au cours d'une des étapes de son périple, il reçoit une lettre de sa mère restée en Italie.]
La lettre était datée de juin et disait : « Mon bel enfant, as-tu trouvé des chimères ? Le marin que tu m'as envoyé m'a dit que tu étais imprudent. Cela m'a rassurée. Sois toujours très imprudent, mon petit, c'est la seule façon d'avoir un peu de plaisir à vivre dans notre époque de manufactures. J'ai longuement discuté d'imprudence avec ton marin. Il me plaît beaucoup. Il a guetté la Thérèsa à la petite porte ainsi que tu le lui avais recommandé, mais, comme il se méfiait d'un grand garçon de quinze ans qui joue à la marelle tous les jours sur la place de sept heures du matin à huit heures du soir depuis que tu es en France, il a barbouillé la gueule d'un pauvre chien avec de la mousse de savon et le joueur de marelle a pris ses jambes à son cou en criant à la rage. Le soir même, le général Bonetto qui n'a pas inventé la poudre m'a parlé d'une chasse au chien à propos de mon griffon. Je sais donc exactement d'où vient le joueur de marelle maintenant et j'ai fait les yeux qu'il faut pour que le général sache que je sais. Rien n'est plus agréable que de voir l'ennemi changer ses batteries de place. Il y a beaucoup de rage à Turin. Tous les jeunes gens qui ont un visage ingrat et une taille au-dessous de quatre pieds et demi sont enragés. La même épidémie ravage les envieux et ceux qui n'ont jamais su être généreux avec leur tailleur. Le reste se porte bien et fait des projets. Il y en a même qui ont la folie de vouloir adopter cette mode anglaise si préjudiciable à l'organdi et aux pantalons collants d'aller manger à la campagne. Ils disent même : jusque près des tombeaux romains. Ce que je trouve exagéré, comme espoir en tout cas. Mais les routes sont les routes. Laissons faire. Les bons marcheurs s'en vont toujours de détour en détour pour voir le paysage qui est après le tournant et c'est ainsi que, d'une simple promenade, ils font parfois une marche militaire. Tout cela serait bien s'il n'y avait pas de moins en moins de gens capables de compter sur leur cœur. C'est un muscle qu'on ne fait plus travailler, sauf ton marin qui me paraît de ce côté être un assez curieux gymnasiarque. Il s'est enthousiasmé d'une bonté de rien du tout que j'ai eue pour sa mère et il est allé faire tourner ses bras un peu trop près des oreilles des deux hommes chamarrés qui ont organisé ton voyage précipité. Ils en sont tombés très malencontreusement malades le jour même. C'est dommage. J'ai pensé que ton marin avait la détente un peu brusque. Je lui ai donné de fort obscures raisons pour qu'il fasse encore un voyage en mer. J'ai été si mystérieuse qu'il s'en est pâmé de bonheur. J'aime viser longtemps.
Et maintenant, parlons de choses sérieuses. J'ai peur que ne fasses pas de folies. Cela n'empêche ni la gravité, ni la mélancolie, ni la solitude : ces trois gourmandises de ton caractère. Tu peux être grave et fou, qui empêche ? Tu peux être tout ce que tu veux et fou en surplus, mais il faut être fou, mon enfant. Regarde autour de toi le monde sans cesse grandissant de gens qui se prennent au sérieux.»
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