Jean Giono, Le Hussard sur le toit, ch. VI (1951)
Extrait du document
«
Jean Giono, Le Hussard sur le toit, ch.
VI (1951)
Durant la grande épidémie de choléra qui sévit en Provence au milieu du XIXe siècle, le héros du Hussard sur
le toit, Angélo, perché sur les toits de Manosque, assiste à une procession destinée à conjurer les forces du
mal.
Bien longtemps avant que le soleil se lève, une petite cloche se mit à sonner dans les collines.
Il y avait
de ce côté-là, sur une éminence couronnée de pins, un ermitage semblable à un osselet.
La lumière encore
relativement limpide permettait de voir un chemin qui y montait en serpentant à travers une forêt
d'amandiers gris.
Le petit vitrail commença à transmettre par le tremblement de ses verres dans leurs cercles de plomb une
sorte d'agitation qui bougeait dans les profondeurs de l'église.
Les grandes portes sur lesquelles on avait
vainement frappé la veille s'ouvrirent.
Angélo vit s'aligner sur la place des enfants vêtus de blanc et qui
portaient des bannières.
Les portes des maisons commencèrent à souffler quelques femmes noires comme
des fourmis.
D'autres venaient par les rues qu'il voyait en enfilade.
Au bout d'un moment, en tout et pour
tout, ils devaient être une cinquantaine, y compris trois prêtres recouverts de carapaces dorées qui
attendaient.
La procession se mit en marche en silence.
La cloche sonna longtemps des coups espacés.
Enfin, les bannières blanches apparurent sous les amandiers gris, puis les carapaces qui, malgré
l'éloignement, restèrent dorées, puis les fourmis noires.
Mais, pendant que tous ces petits insectes
gravissaient lentement le tertre, le soleil se leva d'un bond.
Il saisit le ciel et fit crouler en avalanche des
plâtres, des craies, des farines qu'il se mit à pétrir avec ses longs rayons sans iris.
Tout disparut dans cet
orage éblouissant de blancheur.
Il ne resta plus que la cloche qui continua à sonner à grands hoquets ; puis
elle se tut.
Cette journée fut marquée par une recrudescence terrible de la mortalité.
• On peut faire une double lecture de ce texte : au premier degré, on peut y voir l'exaltation du paysage provençal
cher à Giono.
Mais on peut aussi lire cette évocation, sous l'angle ironique du regard d'Angelo, le « hussard sur le toit
», comme la mise à mort d'une procession, c'est-à-dire comme la description de l'échec de l'homme à maîtriser l'univers
qui l'entoure.
• Dans cette perspective, commentez l'expression : « en tout et pour tout, ils devaient être une cinquantaine ».
• Suggestions : 1.
Étudiez le rythme et les sonorités de la phrase qui marque la victoire du soleil : « Il saisit le ciel...
»
2.
Comparez cette page au passage de la procession dans Manon des sources de Marcel Pagnol.
Quelle différence
observez-vous? (Autre comparaison possible : cf.
le chapitre consacré à la cérémonie religieuse de Bray-le-Haut dans
le Rouge et le Noir de Stendhal I,18.)
Introduction
• Le choix de Giono dans le Hussard sur le toit, roman publié en 1951 : placer un homme (Angelo) dans une totale
solitude, le préserver du destin commun (le choléra qui sévit à Manosque) et lui offrir l'avantage d'une « vision »
supérieure (du toit où il est réfugié, Angelo assiste aux allées et venues des habitants de la ville et ici à la procession
par laquelle ils entendent conjurer la maladie).
• D'une contrainte narrative (la « vision » d'Angelo), le romancier tire une double liberté : celle de voir le monde
autrement et celle de le juger avec le détachement et la distance que permet la
situation du héros.
• Ce qui est vu (les préparatifs puis la procession elle-même) prend donc une dimension insoupçonnée (par ceux qui
vivent « normalement », c'est-à-dire en bas) : en effet, des toits, Angelo voit plus loin et plus haut que tous.
Il va
donc assister au combat perdu d'avance que livrent les hommes contre les forces de la nature.
• Deux aspects seront donc abordés :
1.
Le monde vu des toits.
2.
Une bataille perdue.
1.
Vu des toits
1.
Angelo dans l'espace
• Le monde, les événements, la durée elle-même sont vus, ressentis à travers Angelo :
— « La lumière (...) permettait de voir...
» (l.
3-4) ;
— « Angelo vit...
» (l.
9) ;
— « il voyait en enfilade...
» (l.
12-13) ;
— « Tout disparut...
» (l.
22).
• Angelo, par sa position sur les toits, est un observateur privilégié qui rassemble sous son regard plusieurs espaces :
— la ville (Manosque), ses rues, ses maisons, ses habitants ;
— la campagne tout autour et particulièrement les collines (celle où est situé l'ermitage), les forêts, les chemins;
— le ciel enfin et les manifestations de son « humeur ».
• Le regard du héros est un regard poétique.
De son toit, Angelo a des « visions » : il transforme la réalité, la
métamorphose.
D'où les comparaisons et métaphores nombreuses :
— les « femmes...
fourmis » (l.
11-12) ;
— le soleil-plâtrier ou boulanger (« des farines qu'il se mit à pétrir avec ses longs rayons sans iris », 1.
21-22)..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Jean Giono, Le Hussard sur le toit, ch. 6 : Bien longtemps avant que le soleil se lève, une petite cloche se mit à sonner dans les collines...
- Résumé: Le Hussard sur le toit de JEAN GIONO
- Jean Giono, Le Hussard sur le toit.
- PEINTURE: Jean-Jacques Waltz, dit Hansi (1873-1951)
- Jean Giono