Jean Giono, Regain.
Extrait du document
Jean Giono, Regain.
Panturle a défait ses houseaux d'étoffe. Il s'est installé au soleil. Il a allongé ses pieds nus dans la chaleur et il s'est amusé à agiter ses doigts de pieds. Caroline toute sotte le regardait.
La Mamèche s'est plantée face au sud et, pendant un long moment elle a regardé le nuage qui ne bougeait pas. Elle reniflait de longs morceaux d'air, elle le goûtait comme on goûte un vin pour voir s'il est fait, s'il a fini de bouillir, s'il a de l'alcool. Et puis, voyez : le nuage montait doucement vers le large du ciel ; il quittait la côte, il partait pour le voyage. C'est ça qu'elle voulait voir.
Alors, elle est rentrée chez elle ; elle a fait bouillir des pommes de terre ; elle en a fait bouillir des vieilles, des grosses, de toutes. Quand elles ont été cuites, elle les a alignées sur la table, elle les a encore comptées puis elle s'est mise à calculer sur ses doigts.
"Un jour, deux jours, peut-être trois, peut-être quatre."
À la fin, elle a dit :
"Ça fait le compte."
Elle a mis les pommes de terres dans une serviette avec une poignée de gros sel et elle a attaché le paquet avec une liane de clématite. Après, elle a enlevé le rosaire du cou de la Vierge et elle l'a mis à son cou. Elle est restée un moment à regarder la Vierge. Ses lèvres ne bougeaient pas.
Alors, le nuage qui partait est passé devant la fenêtre, et il avait bien pris de la vitesse, et il montait vers le nord.