Jean-Jacques ROUSSEAU , La Nouvelle Héloïse
Extrait du document
( Saint-Preux va embarquer sur un navire. Il adresse une lettre à sa cousine Claire)
Je pars, chère et charmante cousine, pour faire le tour du globe ; je vais chercher dans un autre hémisphère la paix dont je n'ai pu jouir dans celui-ci. Insensé que je suis ! je vais errer dans l'univers sans trouver un lieu pour y reposer mon cœur ; je vais chercher un asile où je puisse être loin de vous ! Dans trois heures je vais être à la merci des flots ; dans trois jours je ne verrai plus l'Europe ; dans trois mois, je serai dans les mers inconnues où règnent d'éternels orages ; dans trois ans peut-être… Qu'il serait affreux de ne plus vous voir ! Hélas ! le plus grand péril est au fond de mon cœur car, quoi qu'il en soit de mon sort, je l'ai résolu, je le jure, vous me verrez digne de paraître à vos yeux, ou vous ne me reverrez jamais…
Il faut finir, je le sens. Adieu, charmante cousine. Adieu, beauté incomparable ! Adieu, pure et céleste âme. Adieu, tendre et inséparable amie, femme unique sur la terre. Vous êtes le seul objet digne de mon cœur. Daignez vous rappeler quelquefois la mémoire d'un infortuné qui n'existait que pour partager avec vous les sentiments de son âme, et qui cessa de vivre au moment où il s'éloigna de vous. Si jamais…
J'entends le signal et les cris des matelots ; je vois fraîchir le vent et déployer les voiles ; il faut monter à bord, il faut partir. Mer vaste, mer immense, qui dois peut-être m'engloutir, puissé-je retrouver sur les flots le calme qui fuit mon cœur !
Jean-Jacques ROUSSEAU , La Nouvelle Héloïse
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