Jean-Jacques Rousseau La Nouvelle Héloïse (Quatrième partie. Lettre XVII. A Milord Edouard)
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Là mes vives agitations commencèrent à prendre un autre cours ; un sentiment plus doux s'insinua peu à peu dans mon âme, l'attendrissement surmonta le désespoir ; je me mis à verser des torrents de larmes, et cet état comparé à celui dont je sortais n'étais pas sans quelques plaisirs. Je pleurai fortement, longtemps, et fus soulagé. Quand je me trouvai bien remis, je revins auprès de Julie ; je repris sa main. Elle tenait son mouchoir ; je le sentis fort mouillé. Ah, lui dis-je tout bas, je vois que nos cœurs n'ont jamais cessé de s'entendre ! Il est vrai, dit-elle d'une voix altérée ; mais que ce soit la dernière fois qu'ils auront parlé sur ce ton. Nous recommençâmes alors à causer tranquillement, et au bout d'une heure de navigation, nous arrivâmes sans autre accident. Quand nous fûmes rentrés j'aperçus à la lumière qu'elle avait les yeux rouges et fort gonflés ; elle ne dut pas trouver les miens en meilleur état. Après les fatigues de cette journée elle avait grand besoin de repos : elle se retira, et je fus me coucher.
Voilà, mon ami, le détail du jour de ma vie où sans exception j'ai senti les émotions les plus vives. J'espère qu'elles seront la crise qui me rendra tout à fait à moi. Au reste, je vous dirai que cette aventure m'a plus convaincu que tous les arguments, de la liberté de l'homme et du mérite de la vertu. Combien de gens sont faiblement tentés et succombent ? Pour Julie ; mes yeux le virent, et mon cœur le sentit : Elle soutint ce jour-là le plus grand combat qu'âme humaine ait pu soutenir ; elle vainquit pourtant : mais qu'ai-je fait pour rester si loin d'elle ? Ô Edouard ! quand séduit par ta maîtresse tu sus triompher à la fois de tes désirs et des siens, n'étais-tu qu'un homme ? sans toi, j'étais perdu, peut-être. Cent fois dans ce jour périlleux le souvenir de ta vertu m'a rendu la mienne.
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Jean-Jacques Rousseau
La Nouvelle Héloïse
(Quatrième partie. Lettre XVII. A Milord Edouard)
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