Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions
Extrait du document
La chose que je regrette le plus dans les détails de ma vie dont j'ai perdu la mémoire est de n'avoir pas écrit des mémoires de mes voyages. Jamais je n'ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi-même, si j'ose ainsi dire, que dans ceux que j'ai faits seul et à pied. La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place, il faut que mon corps soit en mouvement pour y mettre mon esprit. La vue de la campagne, la succession des aspects agréables, le grand air, le grand appétit, la bonne santé que je gagne en marchant, l'indépendance, l'éloignement de tout ce qui me fait sentir ma dépendance, de tout ce qui me rappelle à ma situation, tout cela dégage mon âme, me donne une plus grande audace de penser, me jette en quelque sorte dans l'immensité des êtres pour les combiner, les choisir, me les approprier à mon gré, sans gêne et sans crainte. Je dispose en maître de la nature entière ; mon cœur, errant d'objet en objet, s'unit à ceux qui le flattent, s'entoure d'images charmantes, s'enivre de sentiments délicieux. Si pour les fixer je m'amuse à les décrire, quelle force de la plume, quelle fraîcheur des mots, quelle énergie d'expression je leur donne !
Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions
Liens utiles
- Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions.
- Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions. Le dîner de Turin
- Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions. Le bonheur aux Charmettes
- Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions. Autoportrait
- Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions. Justification après l'abandon des enfants (VIII)