Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions. Fin du livre VII.
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Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions. Fin du livre VII.
Il fallait que ces petits dîners hebdomadaires plussent extrêmement à Diderot, car lui qui manquait presque à tous ses rendez-vous ne manqua jamais aucun de ceux-là. Je formai là le projet d'une feuille périodique, intitulée Le Persifleur, que nous devions faire alternativement Diderot et moi. J'en esquissai la première feuille, et cela me fit faire connaissance avec d'Alembert, à qui Diderot en avait parlé. Des événements imprévus nous barrèrent, et ce projet en demeura là.
Ces deux auteurs venaient d'entreprendre le Dictionnaire Encyclopédique, qui ne devait d'abord être qu'une espèce de traduction de Chambers, semblable à peu près à celle du Dictionnaire de Médecine de James, que Diderot venait d'achever. Celui-ci voulut me faire entrer pour quelque chose dans cette seconde entreprise, et me proposa la partie de la musique, que j'acceptai, et que j'exécutai très à la hâte et très mal, dans les trois mois qu'il m'avait donnés comme à tous les auteurs qui devaient concourir à cette entreprise; mais je fus le seul qui fut prêt au terme prescrit. Je lui remis mon manuscrit, que j'avais fait mettre au net par un laquais de M. de Francueil, appelé Dupont, qui écrivait très bien, et à qui je payai dix écus, tirés de ma poche, qui ne m'ont jamais été remboursés. Diderot m'avait promis, de la part des libraires, une rétribution dont il ne m'a jamais reparlé, ni moi à lui.
Cette entreprise de l'Encyclopédie fut interrompue par sa détention. Les Pensées philosophiques lui avaient attiré quelques chagrins qui n'eurent point de suite. Il n'en fut pas de même de la Lettre sur les Aveugles, qui n'avait rien de répréhensible que quelques traits personnels, dont Mme Dupré de Saint-Maur et M. de Réaumur furent choqués, et pour lesquels il fut mis au donjon de Vincennes. Rien ne peindra jamais les angoisses que me fit sentir le malheur de mon ami. Ma funeste imagination qui porte toujours le mal au pis, s'effaroucha. Je le crus là pour le reste de sa vie. La tête faillit à m'en tourner. J'écrivis à Mme de Pompadour pour la conjurer de le faire relâcher, ou d'obtenir qu'on m'enfermât avec lui. Je n'eus aucune réponse à ma lettre: elle était trop peu raisonnable pour être efficace, et je ne me flatte pas qu'elle ait contribué aux adoucissements qu'on mit quelques temps après à la captivité du pauvre Diderot. Mais si elle eût duré quelque temps encore avec la même rigueur, je crois que je serais mort de désespoir au pied de ce malheureux Donjon. Au reste, si ma lettre a produit peu d'effet, je ne m'en suis pas, non plus, beaucoup fait valoir; car je n'en parlai qu'à très peu de gens, et jamais à Diderot lui-même.
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