Jean LORRAIN (1855-1906) (Recueil : L'ombre ardente) - Clair de Lune
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Jean LORRAIN (1855-1906) (Recueil : L'ombre ardente) - Clair de Lune A l'heure, où les bois d'aubépines, De combe en combe au loin neigeant, Apparaîtront dans les ravines Comme un léger brouillard d'argent, Nous irons dans la forêt brune, Dans l'ombre, écouter les récits, Que fait aux bois le clair de lune, Ce bleuâtre amant des taillis : Contes païens, récits épiques, Dont les combats, tragique enfer, Surgissent parfois noirs de piques Au ciel brouillé des nuits d'hiver ; Quand dans les brumes écroulées La bise à l'horizon frileux Entasse de pâles mêlées D'escadrons d'astres fabuleux... Mais ta marche hésite et tressaille En m'écoutant, va, ne crains rien. Le ciel d'Avril est sans bataille, Le bois moderne est bon chrétien. Un chasseur nimbé d'or l'habite ; Les chênes en Mai sont bénis. Un souffle innocent y palpite, Le souffle adorable des nids. La chasse errante sous la lune De Diane et du roi païen S'est perdue au loin sur la dune Aux sons du cor de saint Julien. Heureux si dans cette déroute, Qui fait hélas ! le bois désert, Il nous reste au bord de la route Le grand cerf blanc de saint Hubert ; Pourtant je me suis laissé dire Que les nains rieurs des talus Étaient fils du vieux dieu Satyre Et des faunes aux reins velus. On veut aussi que la ruine, Pour garder un ancien trésor, Ait dans la mousse et la bruine Des gnomes verts couronnés d'or... Rêve ou non ! libre à toi d'y croire. Le bois nocturne a ses rayons Mêlés de légende et d'histoire Et des fables pour papillons. Qui sait ? Dans l'herbe lumineuse Tramant des encensoirs d'argent, Verrons-nous passer sous l'yeuse Le cortège de la Saint-Jean ? Avec ses basses, ses violes Fredonnant dans l'air tiède et pur, Et ses diacres en étoles, Tachant d'or clair le bois obscur ; Ses vierges d'iris bleus coiffées, Portant des rameaux de buis vert, Dont Shakespeare eût fait des fées, Platon des nymphes à l'oeil clair. Écartant sur leurs pas les branches, Nous verrons leurs manteaux de lin Et l'ourlet de leurs robes blanches Se perdre au tournant du chemin, Et, dans la clairière irisée, Le long des verts taillis mouillés, Nous reviendrons dans la rosée, De notre rêve émerveillés !
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