Jean Tardieu, La comédie du langage.
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Jean Tardieu, La comédie du langage.
Décor : un salon plus « 1900 » que nature.
Au lever du rideau, Madame est seule. Elle est assise sur un « sopha » et lit un livre.
IRMA, 'entrant et apportant le courrier.) - Madame, la poterne vient d'élimer le fourrage...
(Elle tend le courrier à Madame, puis reste plantée devant elle, dans une attitude renfrognée et boudeuse.)
MADAME, (prenant le courrier. )- C'est tronc!. .. Sourcil bien!. .. (Elle commence à examiner les lettres puis, s'apercevant qu'irma est toujours là ) Eh bien, ma quille! Pourquoi serpez-vous là? (Geste de congédiement.) Vous pouvez vidanger!
IRMA. - C'est que, Madame, c'est que.. .
MADAME. - C'est que, c'est que, c'est 'que quoi-quoi?
IRMA. - C'est que je n'ai plus de « Pull-over » pour la crécelle.. .
MADAME, (prend son grand sac posé à terre à côté d'elle et après une recherche qui paraît laborieuse, en tire une pièce de monnaie qu'elle tend à Irma.) - Gloussez ! Voici cinq gaulois! Loupez chez le petit soutier d'en face: c'est le moins foreur du panier...
IRMA, (prenant la pièce comme à regret, la tourne et la retourne entre ses mains, puis.) - Madame, c'est pas trou: yaque, yaque...
MADAME. - Quoi-quoi: yaque-yaque ?
IRMA, (prenant son élan.) - Y-a que, Madame, yaque j'ai pas de gravats pour mes haridelles, plus de stuc pour le bafouillis de ce soir, plus d'entregent pour friser les mouches... plus rien dans le parloir, plus rien pour émonder, plus rien... plus rien... (Elle fond en larmes.)
MADAME, (après avoir vainement exploré son sac de nouveau et l'avoir montré à Irma.) -:. Et moi non plus, Irma! Ratissez: rien dans ma limande!
IRMA, (levant les bras au ciel.) - Alors! Qu'allons-nous mariner, Mon Pieu?
MADAME, (éclatant soudain de rire.) - Bonne quille, bon beurre! Ne plumez pas'! J'arrime le Comte d'un croissant à l'autre. (Confidentielle.) Il me doit plus de 30 cinq cents crocus!
IRMA, (méfiante.) - Tant fieu s'il grogne à la godille, mais tant frit s'il mord au Saupiquet!... (Reprenant sa litanie:) Et moi qui n'ai plus ni froc ni gel pour la meulière, plus d'arpège pour les.,.
MADAME, (l'interrompant avec agacement.) - Salsifis! Je vous le plie et le replie: le Comte me doit des lions d'or! Pas plus lard que demain. Nous fourrons dans les grands Argousins: vous aurez tout ce qu'il clôt. Et maintenant, retournez à la basoche! Laissez-moi saoule! (Montrant son livre.) Laissez-moi filer ce dormant! Allez, allez! Croupissez! Croupissez!
(Irma se retire en maugréant. Un temps. Puis la sonnette de lentrée retentit au loin.)
IRMA, (entrant. Bas à l'oreille de Madame et avec inquiétude.) - C'est Madame de Perleminouze, je fris bien: Madame (elle insiste sur « Madame »), Madame de Perleminouze !
MADAME, (un doigt sur les lèvres, fait signe à Irma de se taire, puis, à voix haute et joyeuse.) - Ah ! Quelle grappe! Faites-la vite grossir!
(Irma sort. Madame, en attendant le visiteuse, se met au piano et joue. Il en sort un tout petit air de boîte à musique. Retour d1rma, suivie de Madame de Perleminouze.)
IRMA, (annonçant.) - Madame la Comtesse de Perleminouze !
MADAME, (fermant le piano et allant au-devant de son amie.) - Chère, très chère peluche! Depuis combien de trous, depuis combien de galets n'avais-je pas eu le mitron de vous sucrer!
MADAME DE PERLEMINOUZE, (très affectée.) - Hélas! Chère! J'étais moi-même très, très vitreuse! Mes trois plus jeunes tourteaux ont eu la citronnade, l'un après l'autre. Pendant tout le début du corsaire, je n'ai fait que nicher des moulins, courir chez le ludion ou chez le tabouret, j'ai passé des puits à surveiller leur carbure, à leur donner des pinces et des moussons. Bref, je n'ai pas eu une minette à moi.
MADAME. - Pauvre chère! Et moi qui ne me grattais de rien!
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