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John Dos Passos

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La place de Dos Passos dans la littérature américaine est manifestement considérable : chez aucun romancier des États-Unis on ne trouve ambition si grande, oeuvre à ce point soucieuse de traduire, sous ses multiples aspects, la confrontation pathétique de l'individu humain avec la plus moderne, la plus téméraire des civilisations. Né à Chicago dans Lakeshore Drive, l'année même où s'affirmait dans tout son éclat, par l'élection de McKinley à la présidence, la puissance du grand capital américain, Dos Passos a d'étonnantes ascendances : son père, ancien avocat du barreau de Philadelphie, était alors l'un des grands conseillers du Big Business et du Stock Exchange ; ami personnel de McKinley et des personnages les plus influents de la nation. Son grand-père, Manoël Joquin Dos Passos, n'avait été qu'un petit cordonnier portugais de Madère qui s'était fait une vie nouvelle au "pays de la chance" en compagnie de Lucinda Anne Cattell, son épouse, issue d'une famille de New Jersey. Cette hérédité ibérique, John Dos Passos la percevra toujours en lui : elle étayera un sens profond de l'homme, de la Humanidad ­ une exigence d'individualisme volontiers anarchisant, et de dignité personnelle, qui iront de pair avec une passion violente d'éprouver en soi l'existence. A l'inverse de beaucoup d'écrivains américains, John Dos Passos ne paraît point marqué profondément par la vie religieuse, par ses rites, par ses valeurs. Son problème essentiel, dès l'enfance, est de retrouver, par-delà l'Amérique de la respectabilité et de la richesse, à laquelle il appartient, celle de Whitman et des pionniers, celle des grands espaces et des libres aventures. Quatre années de Harvard (mais il avait souhaité d'abord être marin) développent chez le futur auteur de Manhattan Transfer tous les déchirements intimes, et une singulière lucidité. Streets of the night, publié en 1923, évoque cette période d'incertitude, ce moment crucial de sa vie : Dos Passos prend conscience, par-delà ses attitudes d'esthète rêveur, de l'impossibilité d'adapter à l'Amérique moderne la vieille culture traditionnelle de l'Europe. A l'origine de l'oeuvre se découvre (à travers les demi-confessions de la trilogie U.S.A.) un amour passionné de l'homme ordinaire, un refus catégorique de la grande bourgeoisie d'affaires qui, convaincue de son triomphe, n'est cependant qu'une Leisure-class (une "classe oisive") dont l'économiste Veblen fait la plus cinglante satire.

« John Dos P assos La place de Dos P assos dans la littérature américaine est manifestement considérable : chez aucun romancier des États-Unis on ne trouve ambition si grande, oeuvre à ce point soucieuse de traduire, sous ses multiples aspects, la confrontation pathétique de l'individu humain avec la plus moderne, la plus téméraire des civilisations. N é à C hicago dans Lakeshore Drive, l'année même où s'affirmait dans tout son éclat, par l'élection de McKinley à la présidence, la puissance du grand capital américain, Dos Passos a d'étonnantes ascendances : son père, ancien avocat du barreau de Philadelphie, était alors l'un des grands conseillers du Big Business et du Stock Exchange ; ami personnel de McKinley et des personnages les plus influents de la nation.

Son grand-père, Manoël Joquin Dos Passos, n'avait été qu'un petit cordonnier portugais de Madère qui s'était fait une vie nouvelle au "pays de la chance" en compagnie de Lucinda A nne C attell, son épouse, issue d'une famille de New Jersey.

C ette hérédité ibérique, John Dos Passos la percevra toujours en lui : elle étayera un sens profond de l'homme, de la Humanidad une exigence d'individualisme volontiers anarchisant, et de dignité personnelle, qui iront de pair avec une passion violente d'éprouver en soi l'existence. A l'inverse de beaucoup d'écrivains américains, John Dos Passos ne paraît point marqué profondément par la vie religieuse, par ses rites, par ses valeurs. Son problème essentiel, dès l'enfance, est de retrouver, par-delà l'Amérique de la respectabilité et de la richesse, à laquelle il appartient, celle de Whitman et des pionniers, celle des grands espaces et des libres aventures. Quatre années de Harvard (mais il avait souhaité d'abord être marin) développent chez le futur auteur de Manhattan Transfer tous les déchirements intimes, et une singulière lucidité.

Streets of the night, publié en 1923, évoque cette période d'incertitude, ce moment crucial de sa vie : Dos P assos prend conscience, par-delà ses attitudes d'esthète rêveur, de l'impossibilité d'adapter à l'A mérique moderne la vieille culture traditionnelle de l'Europe.

A l'origine de l'oeuvre se découvre (à travers les demi-confessions de la trilogie U.S.A.) un amour passionné de l'homme ordinaire, un refus catégorique de la grande bourgeoisie d'affaires qui, convaincue de son triomphe, n'est cependant qu'une Leisure-class (une "classe oisive") dont l'économiste V eblen fait la plus cinglante satire. C 'est pourquoi, à l'instar de celle de Faulkner ou de Hemingway, l'initiation de John Dos Passos débute par une quête passionnée du réel, de l'expérience authentique.

Le soldat qui débarquait en juin 1917 à Bordeaux était déjà, comme on le voit par son premier livre, l'initiation d'un homme (1920), celui qui avait décidé d'aller, quel que fût le prix, au coeur des choses. A la "niceness" (à la gentillesse) des écrivains de la "tradition distinguée", il oppose donc une vigueur, une acuité totales.

Il revendique d'ailleurs, dès 1917, en de véhéments articles, une telle attitude ; et, en 1921, dans Three Soldiers, orchestre dans toute son ampleur déjà le thème majeur de la frustration de l'individu... Dévoiler, révéler, rien ne lui semble plus urgent (et l'influence de Pio Baroja est sur lui évidente).

"Décrire, pour un écrivain, c'est inventer, expliquer.

On ne saurait se borner à la description pure et simple." Cette déclaration de 1936 est déjà valable en 1925 : on y découvre le principe même de Manhattan Transfer, étonnant poème symphonique qui est probablement l'une des oeuvres les plus puissantes de la première après-guerre.

Les dix-huit chapitres du livre objec-tivent par un procédé évident de montage cinématographique la vision personnelle de l'auteur.

C e procès d'une C ité destructrice broyant l'individu sous ses gratte-ciel et ses tonnes d'acier est aussi l'expression d'une fascination, d'une excitation lyrique et épique sans précédent. Roman expérimental, Manhattan Transfer l'est d'un bout à l'autre.

Et c'est aussi l'évocation, pour donner l'alarme, de la plus terrible des "failure-stories" ; nul n'a mieux vu, alors, que John Dos P assos, ce qu'il entre d'épopée et de tragédie dans la fantastique entreprise américaine, nul n'en a tiré un tel parti littéraire. La "grande dépression" qui commença en 1929 devait lui permettre de donner toute sa mesure.

L'immense trilogie constituée par 42e P arallèle, 1919, et la Grosse Galette (T he Big Money), respectivement publiés en 1930, 1932, 1936, exprime l'inquiétude même d'un peuple.

La grande tradition libérale du Radicalisme américain, la protestation confuse du jeune syndicalisme (celle notamment des "International Workers of the World"), presque à chaque page, l'impressionnant procès que Dos P assos fait à une certaine A mérique au nom d'une autre qui, à ses yeux, est la seule concevable.

Il y a quelque souffle balzacien en une telle oeuvre et jusque dans son propos fondamental. En ces années de crise et d'anxiété qui suivirent le krach de Wall Street, Dos P assos intervient directement dans l'action sociale, participe à de multiples comités comme il l'avait déjà fait de manière retentissante dans sa croisade pour Sacco et Vanzetti : il est loin néanmoins d'entrer véritablement dans la perspective du matérialisme historique.

Son idéalisme et son individualisme demeurent.

Quant à sa technique, elle est éblouissante, encore liée avec une vigueur parfois excessive au procédé clef du montage : systématiquement, il orchestre une polyphonie complexe qui fait alterner le récit ou plutôt les récitset ces "séquences" insolites qui se nomment C hambre Noire, Biographies, A ctualités.

Ni Jöe, ni McCreary, ni M oorehouse, ni bien d'autres personnages encore, surgissant à travers ces quelque 1 500 pages, ne sont, au demeurant, les "héros" de cette oeuvre : les États-Unis tout entiers jouent ce rôle ; et ce n'est pas en vain que l'image ultime est celle d'un jeune homme inconnu, affamé d'action et d'espaces, dont le prologue avait déjà évoqué le destin. L'expérience du New Deal, les années de guerre et d'après-guerre, plongèrent Dos P assos dans un trouble plus pathétique encore.

Il se trouve déçu tout ensemble par les imperfections de la réforme rooseveltienne et par certains comportements du marxisme militant.

La seconde trilogie qu'il fait paraître sous le titre District of Columbia témoigne de cette désillusion (A ventures d'un jeune homme, en 1939 ; Numéro Un, en 1943 ; le Grand Dessein, en 1949).

Qu'il s'agisse de l'échec du jeune Gleen Spotswood, individualiste impénitent, dans sa collaboration avec les organisations socialistes et avec les forces antifranquistes ; de celui de Tyler Spotswood dans la vie politique, c'est toujours la faillite du vieil idéal démocratique qui est mise en lumière.

C ela culmine dans la fresque The Great Design qui conclut finalement à bien davantage encore qu'à l'échec du New Deal : à l'impossibilité de réaliser, d'aucune manière, ce gouvernement "du peuple par le peuple" auquel Dos P assos, en digne fils de Jefferson et de Whitman, n'avait cessé de croire.

La puissance créatrice qui éclatait si vivement dans U.S.A.

n'est plus soutenue par aucune confiance.

L'esthétique même s'en ressent : l'auteur revient à des formes plus traditionnelles et, du même coup, perd un peu de ses pouvoirs. La critique américaine, et européenne, ne manque pas de constater ce relatif déclin : la publication d'oeuvres comme Most likely to succeed ou comme le très récent, et assez remarquable Midcentury, n'a pu donner à ce très fécond romancier l'immense prestige dont il a bénéficié pendant la décennie 19301940. Les quelque trente volumes qui constituent actuellement son oeuvre demeureront, dans leur ensemble, un prodigieux document sur l'A mérique du XXe siècle : pourvu d'une très solide culture, d'un sens exceptionnel de l'histoire, et-d'un grand talent de "reporter", Dos P a s s o s e s t aussi, aux yeux de beaucoup d'A méricains, un admirable poète en prose. Son influence, en France, fut très grande au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en relation avec l'épanouissement des tendances existentialistes et "phénoménologiques".

Sartre, notamment, vit en lui le plus considérable des romanciers de ce temps.. »

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