Joinville, "Vie de Saint Louis", édition J. Monfrin, Classiques Garnier.
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Joinville, "Vie de Saint Louis", édition J. Monfrin, Classiques Garnier.
(55) Un cordelier se présenta à lui au château d'Hyères, où nous débarquâmes ; et pour donner un enseignement au roi, il dit dans son sermon qu'il avait lu la Bible et les livres qui parlent des princes infidèles, et il disait qu'il ne trouvait, ni chez les croyants, ni chez les infidèles, qu'un royaume se soit jamais perdu ou ait changé de maître sinon par défaut de justice : "Que le roi qui s'en va en France prenne garde de faire bonne et rapide justice à son peuple, pour que Notre-Seigneur lui permette de conserver en paix son royaume tout au long de sa vie". (56) On dit que ce prud'homme qui donnait cet enseignement au roi est enseveli à Marseille, où Notre-Seigneur fait pour lui beaucoup de miracles. Et il ne voulut jamais rester avec le roi qu'une seule journée, quelque prière que celui-ci lui sût faire.
(57) Le roi n'oublia pas cet enseignement ; bien plutôt, il gouverna bien son royaume, selon la justice et selon Dieu, comme vous l'entendrez ci-après. Il avait organisé ses affaires de telle manière que messire de Nesle et le bon comte de Soissons et nous autres qui étions de son entourage, après avoir entendu nos messes, allions entendre les procès de la porte, que l'on appelle maintenant les requêtes. (58) Et quand il revenait de l'église, il nous envoyait chercher et s'asseyait au pied de son lit ; il nous faisait tous asseoir autour de lui et nous demandait s'il y avait des gens dont l'affaire devait être réglée, et ne pouvait pas être réglée sans lui ; nous lui donnions les noms et il les envoyait chercher et leur demandait : "Pourquoi n'acceptez-vous pas ce que mes gens vous offrent ?" Et ils disaient : "Sire, c'est qu'ils nous offrent peu." Et il leur disait ainsi : "Vous devriez bien prendre cela si on vous le propose". Et ainsi le saint homme se donnait du mal, tant qu'il pouvait, pour les amener à une solution juste et raisonnable.
(59) Il arriva bien des fois qu'en été il allait s'asseoir au bois de Vincennes, après sa messe, et s'adossait à un chêne et nous faisait asseoir autour de lui. Et tous ceux qui avaient une affaire venaient lui parler, sans être gênés par des huissiers ou par d'autres gens. Et alors il leur demandait de sa propre bouche : "Y a-t-il ici quelqu'un qui ait une affaire ?" Et ceux qui avaient une affaire se levaient, et il leur disait : "Taisez-vous tous, et l'on règlera vos affaires l'une après l'autre." Et alors il appelait messire Pierre de Fontaine et messire Geoffroi de Villette et il disait à l'un d'eux : "Réglez-moi cette affaire." (60) Et quand il voyait quelque chose à corriger dans les propos de ceux qui parlaient pour lui ou de ceux qui parlaient pour un autre, il le corrigeait lui-même de sa propre bouche. Je le vis quelquefois, en été, venir pour juger ses gens au jardin de Paris avec une cotte de camelot, un surcot de tiretaine sans manches, un manteau de taffetas noir sur les épaules, très bien peigné et sans coiffe, avec sur la tête un chapeau garni de plumes de paon blanc ; et il faisait étendre des tapis pour nous asseoir autour de lui. Et tous les gens qui avaient une affaire à lui soumettre se tenaient debout autour de lui. Et alors il faisait régler leurs affaires de la même façon qu'au bois de Vincennes, comme je vous l'ai dit auparavant.
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