Joinville, Vie de Saint Louis, « la dernière croisade ».
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Joinville, Vie de Saint Louis, « la dernière croisade ».
(730) Après les choses dessus dites, il advint que le roi convoqua tous ses barons à Paris au cours d'un carême. Je m'excusai après de lui à cause d'une fièvre quarte que j'avais alors, et le priai de bien vouloir me dispenser ; et il me fit savoir qu'il voulait absolument que j'y aille, car il avait là de bons médecins qui savaient bien guérir la fièvre quarte. (731) Je m'en allai à Paris. Quand j'arrivai le soir de la veille de Notre-Dame en mars, je ne trouvai personne, ni la reine ni autre, qui sache me dire pourquoi le roi m'avait convoqué. Or il advint, suivant la volonté de Dieu, que je m'endormis pendant les matines ; et j'eus l'impression, en dormant, que je voyais le roi à genoux devant un autel ; et je croyais voir que plusieurs prélats, revêtus de leurs ornements, le revêtaient d'une chasuble vermeille de serge de Reims. (732) J'appelai, après cette vision, messire Guillaume, mon prêtre, qui était très savant, et je lui contai ma vision ; et il me dit ainsi : "Sire, vous verrez que le roi se croisera demain." Je lui demandai pourquoi il le pensait ; et il me dit qu'il le pensait à cause du songe que j'avais songé, "car la chasuble de serge vermeille signifiait la croix, qui fut teinte en vermeil du sang que Dieu y répandit de son côté et de ses mains et de ses pieds ; que la chasuble ait été en serge de Reims signifie que la croisade n'aura que de médiocres résultats, comme vous le verrez si Dieu vous donne vie."
(733) Quand j'eus entendu la messe à la Madeleine, à Paris, j'allai à la chapelle du roi, et je trouvai le roi qui était monté sur la tribune des reliques, et faisait apporter en bas la vraie Croix. Pendant que le roi descendait, deux chevaliers qui étaient de son conseil commencèrent à parler l'un à l'autre, et l'un dit : "Ne me croyez jamais, si le roi ne se croise pas maintenant." Et l'autre répondit que "si le roi se croise, ce sera une des plus douloureuses journées qui ait jamais été en France ; car, si nous ne nous croisons pas, nous perdrons le roi ; et, si nous nous croisons, nous perdrons Dieu, parce que nous ne prendrons pas la Croix pour Lui mais par peur du roi."
(734) Et il advint ainsi que le roi se croisa le lendemain, et ses trois fils avec lui ; et il est advenu ensuite que la croisade a eu de piètres résultats, suivant la prophétie de mon prêtre. Le roi de France et le roi de Navarre exercèrent de fortes pressions sur moi pour que je me croise. (735) A cela je répondis que, pendant que j'avais été outre-mer au service de Dieu et du roi et depuis que j'en revins, les sergents du roi de France et du roi de Navarre m'avaient réduit à rien mes hommes et les avaient appauvris, si bien qu'il n'y aurait jamais de moment où moi et eux soyons dans une situation pire. Et je leur disais ainsi que, si je voulais oeuvrer suivant la volonté de Dieu, je resterais ici pour aider mon peuple et le défendre ; si j'exposais ma personne aux hasards du pèlerinage de la croix, quand je voyais bien clairement que ce serait au mal et au détriment de mes hommes, j'en susciterais la colère de Dieu, qui exposa son corps pour sauver son peuple.
(736) Je considérai que tous ceux qui lui conseillèrent ce voyage firent un péché mortel, parce que, au point où en était la France, tout le royaume était e bonne paix à l'intérieur et avec tous ses voisins ; et, depuis qu'il en partit, l'état du royaume ne fit qu'empirer. (737) Ceux qui lui conseillèrent le voyage commirent un grand péché, compte tenu de la grande faiblesse où se trouvait son corps, car il ne pouvait supporter ni d'aller en voiture ni d'aller à cheval. Sa failesse était si grande qu'il accepta que je le porte dans mes bras de l'hôtel du comte d'Auxerre, où je pris congé de lui, jusqu'aux Cordeliers. Et, quoique état faible comme il était, s'il était resté en France, peut-être aurait-il encore vécu longtemps, et fait beaucoup de bien.
Liens utiles
- Traduction: Jean de Joinville - Vie de Saint Louis
- Joinville, "Vie de Saint Louis", édition J. Monfrin, Classiques Garnier.
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