Jorge Semprun, l'Écriture ou la vie.
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Jorge Semprun, l'Écriture ou la vie.
- Ca veut dire quoi, "bien racontées"? s'indigne quelqu'un. Il faut dire les choses comme elles sont, sans artifices!
C'est une affirmation péremptoire qui semble approuvée par la majorité des futurs rapatriés présents. Des futurs narrateurs possibles. Alors, je me pointe, pour dire ce qui me paraît une évidence.
- Raconter bien, ça veut dire : de façon à être entendus. On n'y parviendra pas sans un peu d'artifice. Suffisamment d'artifice pour que ça devienne de l'art!
Mais cette évidence ne semble pas convaincante, a entendre les protestations qu'elle suscite. Sans doute ai-je poussé trop loin le jeu des mots. Il n'y a guère que Darriet qui m'approuve d'un sourire. Il me connaît mieux que les autres.
J'essaie de préciser ma pensée.
- Ecoutez, les gars! La vérité que nous avons à dire - si tant est que nous en ayons envie, nombreux sont ceux qui ne l'auront jamais! - n'est pas aisément crédible... Elle est même inimaginable...
Une voix m'interrompt pour renchérir.
- Ca c'est juste! dit un type qui boit d'un air sombre, résolument. Tellement peu crédible que moi-même je vais cesser d'y croire, dès que possible!
Il y'a des rires nerveux, j'essaie de poursuivre.
-Comment raconter une vérité peu crédible, comment susciter l'imagination de l'inimaginable, si ce n'est en élaborant, en travaillant la réalité, en la mettant en perspective ? Avec un peu d'artifice, donc! a toujours des voix qui s'imposent dans les brouhahas semblables : je le dis par expérience.
- Vous parlez de comprendre... mais de quel genre de compréhension s'agit t-il?
Je regarde celui qui vient de prendre la parole. J'ignore son nom, mais je le connais de vue. Je l'ai déjà remarqué, certains après-midi de dimanche, se promenant devant le block des Français, le 34, avec Julien Cain, directeur de la Bibliothèque nationale, ou avec Jean Baillou, secrétaire de Normale Sup. Ca doit être un universitaire.
- J'imagine qu'il y aura quantité de témoignages... Ils vaudront ce que vaudra le regard du témoin, son acuité, sa perspicacité... Et puis il y aura des documents... Plus tard, les historiens recueilleront, rassembleront, analyseront les uns et les autres : ils en feront des ouvrages savants... Tout y sera dit, consigné... tout y sera vrai... sauf qu'il manquera l'essentielle vérité, à laquelle aucune reconstruction historique ne pourra jamais atteindre, pour parfaite et omni compréhensive qu'elle soit...
Les autres le regardent, hochant la tête, apparemment rassurés de voir que l'un d'entre nous arrive à formuler aussi clairement les problèmes.
- L'autre genre de compréhension, la vérité essentielle de l'expérience, n'est pas transmissible... Ou plutôt elle ne l'est que par l'écriture littéraire...
Il se tourne vers moi, sourit.
- Par l'artifice de l'oeuvre d'art, bien sûr!
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- Dans les comédies, il s'agit de re-créer le choc entre deux conceptions de la vie, le moment historique clé d'une société : l'effondrement d'un état féodal. Le monde est la Galice et sa synthèse le repentir de Don Juan Manuel, dernière décantation de l'âme galicienne. L'intention artistique : capter un moment d'un changement historico-social au moyen de l'écriture. La forme littéraire que choisit Valle Inclan pour représenter cet instant est le drame historique. Dans quelle mesure et j