Joris-Karl Huysmans
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Joris-Karl Huysmans
Né le 15 février 1848, de père hollandais et de mère française, Huysmans est resté marqué par l'ascendance "balave" dont il tirait quelque vanité.
S'il
discerne lui-même dans sa personnalité "l'inexplicable amalgame d'un Parisien raffiné et d'un peintre de la Hollande", il se veut avant tout homme du Nord,
allant jusqu'à transformer en "Joris-Karl" les prénoms de "Charles, Marie, Georges" reçus à son baptême.
Employé au ministère de l'Intérieur, Huysmans, à l'issue de la guerre de 1870, sent s'éveiller ses curiosités esthétiques et poindre sa vocation d'écrivain.
Parmi les contemporains, ce sont surtout Flaubert et les Goncourt qu'il reconnaît pour ses maîtres, mais, plus proche de lui par l'âge, Zola le séduit aussi
par sa vigueur et ses audaces.
Comme ses amis, C éard, Hennique, A lexis et Maupassant, il fait alors "ses gammes", écrit dans les journaux, approfondit sa
culture artistique par de fréquentes visites au Louvre.
Très vite il s'est forgé un style beaucoup plus proche de "l'écriture artiste" des Goncourt que de la
prose dépouillée, massive, un peu pesante de Zola.
La nouvelle par laquelle il collabore en 1880 aux célèbres Soirées de Médan représente bien plus de sa
part un geste de sympathie qu'une adhésion sans réserve au credo naturaliste.
Dans les premiers romans de Huysmans et surtout dans les Soeurs Vatard (1879) l'influence de Zola, certes perceptible, n'est jamais envahissante.
En
Ménage (1881) et A Vau-l'eau (1882) tentent, tout au contraire, de réaliser une ambition de l'auteur déjà décelable dans Marthe (1876) : il y cherche avant
tout à communiquer une expérience de vie intérieure laquelle se confondra en fait avec la sienne propre.
"Personne plus que moi ne s'est mis dans ses
livres", a dit Huysmans sur son lit de mort.
D'emblée l'aphorisme se vérifie : ce sont bien le désenchantement, le pessimisme foncier de Huysmans
qu'expriment sans trêve ses personnages.
Il n'est pas douteux que pour faire parcourir à M.
Folantin, le pitoyable héros d'A Vau-l'eau, son dérisoire chemin
de croix, Huysmans a largement puisé dans ses souvenirs de vénales rencontres et de délétères gargotes.
Au milieu du morne désert qu'il traverse alors, Huysmans a cependant découvert une oasis : l'art.
C ritique intrépide, érudit, sensible et presque toujours
perspicace, il réunit en 1883, sous le titre l'A rt moderne, de nombreuses chroniques où il défend les Impressionnistes, contribue à lancer Odilon Redon,
exalte le génie plus douteux de Gustave Moreau.
A insi s'élabore l'une de ses oeuvres maîtresses, cet étrange A Rebours qu'Arthur Symons a justement
appelé "le bréviaire de la Décadence".
Aux yeux de Huysmans, le naturalisme est à bout de souffle.
Pour faire sortir le roman de l'impasse où il le voit engagé, il va s'efforcer d'y introduire de
nouveaux ingrédients, tels que "l'art, la science, l'histoire".
Il entend "ne plus se servir de cette forme que pour y insérer d'autres travaux".
De fait, on ne
trouve nulle intrigue, et fort peu de construction dans A Rebours, cet "a- roman" où l'esthète des Esseintes, promène de chapitre en chapitre l'incurable
spleen que peuvent seuls alléger les plus bizarres raffinements de l'art ou de l'artifice.
Mais A Rebours est aussi le bilan, tristement négatif, d'une expérience personnelle.
Comme des Esseintes, Huysmans a rapporté de ses explorations aux
pays de l'anti-nature la nostalgie d'un surnaturel.
A vec lui, il implore maintenant la grâce de "cette impossible croyance en une vie future", dont a tant
besoin "celui qui s'embarque seul dans la nuit, sous un firmament que n'éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir".
Il devait d'abord connaître, après A Rebours, une assez longue période d'aridité.
En Rade (1887) fut un demi-ratage ; Un dilemme (1887) passa presque
inaperçu ; le recueil intitulé Certains (1889) n'est qu'une réimpression d'articles sur l'art et l'architecture et La Bièvre ne constituait, somme toute, malgré
la qualité de ses notations, qu'une modeste plaquette.
Huysmans éprouvait alors autant de peine à trouver un sujet de roman qu'à se trouver lui-même.
Par
un assez déconcertant détour ce fut finalement dans l'occultisme et le satanisme qu'il découvrit à la fois des thèmes neufs et la voie qui le ramènerait au
catholicisme.
Les instruments humains de sa conversion ont été nombreux et bien souvent inattendus.
On peut citer, parmi les principaux, Léon Bloy, l'abbé Mugnier et...
Berthe Courrière, une demi-folle qui lui fit connaître, presque en même temps que l'abbé Mugnier, un prêtre apostat nommé Boullan.
Il dirigeait à Lyon un
petit groupe de vintrasistes et Huysmans a tracé de lui, sous le pseudonyme du "Docteur Johannes", un portrait enthousiaste, mais, à la vérité, beaucoup
trop flatté.
Deux ans durant, et sans en avoir conscience, Huysmans progressera pas à pas sur le chemin d'un très orthodoxe catholicisme, tout en amassant sur Gilles
de Rais, les incubes et succubes, les messes noires, les envoûtements et le rituel vintrasien la documentation du roman par lequel il voulait consacrer un
"naturalisme spiritualiste" capable de renouveler les formules dépassées de Zola et de ses disciples.
Le 28 mai 1891, alors que s'achevait la publication de Là-Bas en feuilleton, Huysmans alla trouver l'abbé Mugnier et lui exposa ses angoisses spirituelles :
"A vez-vous, lui demanda-t-il, en guise de conclusion, du chlore pour mon âme ?" Le pas décisif était fait.
Désormais la vie, la pensée, l'oeuvre de Huysmans vont s'organiser autour d'un unique pôle, la foi, sans que l'artiste, le styliste, l'observateur impitoyable
des petites misères humaines meurent en lui pour autant.
En Route (1895) décrit la conversion de Durtal, ce personnage d'homme de lettres imaginé pour Là-Bas et qui ressemble à Huysmans comme un frère
jumeau.
C'est encore Durtal que l'on retrouve dans la Cathédrale (1898), somme gigantesque, trop touffue et souvent hétéroclite, où des pages descriptives
d'une superbe envolée côtoient bien des aperçus pénétrants sur la mystique et la symbolique chrétiennes.
Avec Durtal enfin se clôt la trilogie, par L' Oblat
(1903) qui célèbre les grandeurs et les joies de l'ascèse monastique.
Les Foules de Lourdes (1906), le dernier grand livre de Huysmans, sont le cantique
qu'il offre à la V ierge, comme pour réparer les outrages que lui a fait subir le Lourdes de Zola, mais, chemin faisant, la bassesse artistique et la mesquine
cupidité de certains exploiteurs de la piété y sont stigmatisés avec une âpreté dans l'invective où l'on retrouve bien le créateur de M.
Folantin.
Avec Sainte Lydwine de Schiedam (1901), Huysmans s'était fait hagiographe pour trouver l'occasion de chanter les vertus de la souffrance réparatrice et
d'exposer, une fois de plus, les principes de la substitution mystique, deux concepts qui, très tôt, et sans doute sous l'influence de Boullan, avaient pris une
grande place dans sa théologie personnelle.
La souffrance, il la connaissait et sous bien des formes depuis longtemps déjà, mais elle allait faire des derniers mois de sa vie un véritable martyre.
Il avait
toutefois appris à lui donner un sens, et même à s'en faire une alliée.
Rongé par un affreux cancer, il aspirait non pas à guérir, mais "à être épuré".
Le 12 mai
1907, il s'éteignit, à bout de résistance, mais en paix avec Dieu et avec lui-même.
Il avait tenu à être enseveli dans la robe d'oblat de saint Benoît, qu'il
avait reçue sept ans plus tôt à Ligugé comme Durtal.
Chez Huysmans, l'écrivain et l'homme se confondent si intimement que son oeuvre et surtout celle de sa seconde manière a pu survivre à son époque sans
éclipse notable.
Si éloignés que nous nous sentions aujourd'hui de son esthétique et malgré l'agacement que peuvent provoquer certaines préciosités un
peu trop constantes de son style, cette oeuvre reste pour nous tout autre chose qu'un objet de curiosité, qu'un simple jalon de l'histoire littéraire.
C 'est
sans doute que, selon le mot de Frédéric Lefèvre, Huysmans a su s'acquérir "l'immortalité selon le coeur"..
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