Jules BARBEY D'AUREVILLY (1807-1889) (Recueil : Poussières) - Te souviens-tu ?...
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Jules BARBEY D'AUREVILLY (1807-1889) (Recueil : Poussières) - Te souviens-tu ?... A Mademoiselle Marthe Brandès. Te souviens-tu du soir, où près de la fenêtre Ouverte d'un salon plein de joyeux ébats, Tu n'avais pas seize ans... les avais-tu ?... Peut-être ? Sous le rideau tombé, nous nous parlions tout bas ?... Ce n'était pas l'amour que t'exprimait ma bouche, Mon coeur était trop vieux, trop glacé, trop hautain, Pour parler à ton coeur ; mais, prophète farouche, Je te prédisais ton destin. Et toi, tu m'écoutais, sur la barre accoudée ; Tu me montrais ta nuque, en me cachant ton front ; Et tu restais muette à la cruelle idée De ce premier amour qui, t'ayant possédée, Deviendra mon dernier affront ! Nuit, ciel, jardin, massifs, dehors tout était sombre, Et tu regardais dans ce noir. Mais ton coeur de seize ans avait encor plus d'ombre, Et là, comme dehors, tu ne pouvais rien voir ! Mais moi, moi, j'y voyais ! mes yeux perçaient le voile Qui te cachait ton avenir, Et je voyais au loin monter l'affreuse étoile De ce premier amour qui pour toi doit venir ! Je te disais alors : " Il va bientôt paraître Celui-là qui prendra d'autorité vos jours ! Mais moi qui ne veux pas vous voir subir un maître, J'aurai disparu pour toujours ! " C'est fait... Je suis sorti maintenant de ta vie Sans t'avoir dit l'adieu qu'on se dit quand on part ; Silencieusement j'emporte ma folie... Pour être aimé de toi, j'étais venu trop tard. Tu ne m'as pas trahi. Je n'ai rien à te dire... Ce qui fut entre nous, c'est la Fatalité. D'aucune illusion tu n'eus sur moi l'empire, Sinon celle de ta fierté ! Te l'avais-je assez exaltée, Pour résister à ton futur vainqueur ? Ai-je cru te l'avoir plantée Assez avant dans ton trop faible coeur ? J'avais donc mis trop haut ton âme. En toi de la fierté ? non ! pas même d'orgueil ! Est-ce que tu pouvais être plus qu'une femme ? Les bras fermés sur toi sont pour moi ton cercueil. Et si, devant mes yeux, un de ces soirs peut-être, Tu passes, entraînant tous les coeurs sous tes pas, Ne baisse pas les tiens ; - car tu m'as fait connaître Ce genre de mépris qui même ne voit pas !...
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