Jules RENARD « Le cygne », Histoires naturelles.
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«
Jules RENARD « Le cygne », Histoires naturelles.
II glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage.
Car il n'a faim que des nuages floconneux qu'il
voit naître, bouger et se perdre dans l'eau.
C'est l'un d'eux qu'il désire.
Il le vise du bec et il plonge tout à coup son col
vêtu de neige.
Puis, tel un bras de femme sort d'une manche, il le retire, il n'a rien.
Il regarde : les nuages effarouchés ont disparu.
Il ne reste qu'un instant désabusé, car les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de
l'eau, en voici un qui se reforme.
Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s'approche.
Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et
peut-être qu'il mourra, victime de cette illusion, avant d'attraper un seul morceau de nuage.
Mais qu'est-ce que je dis ?
Chaque fois qu'il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et ramène un ver.
Il engraisse comme une oie.
Introduction :
• « Le Cygne », dixième poème en prose des Histoires Naturelles de Jules Renard (première édition en 1896), clôt la
première section sur la basse-cour.
• L'œuvre fait référence à Buffon qui fut un maître d'observation pour le poète.
L'oiseau est ici en effet évoqué de
manière très précise et vraie.
• Pourtant, le texte nous invite à mettre à distance le charme poétique même de l'anecdote.
« Le cygne » s'offre ainsi
comme un exercice de style qui vient en contre-point d'une longue tradition et propose une vision parodique de cet
animal mythique.
• D'où les pistes d'étude suivantes :
1.
Une anecdote poétisée
2.
L'ironie du poète
I.
Une anecdote poétisée
1.
L'oiseau dans son élément
• L'espace et le temps : un minimum de détails suffisent à poser les circonstances de l'anecdote.
— Le cadre est celui d'un « bassin » (l.
1) au-dessus duquel passent des nuages, mais dont on ne voit que le reflet : «
des nuages floconneux qu'il voit naître, bouger et se perdre dans l'eau » (l.
2-3).
— L'anecdote s'organise de façon chronologique.
Relever les conjonctions temporelles : « tout à coup » (l.
4), « puis »
(l.
5), « chaque fois » (l.
15) et les préfixes de répétition : « retire » (l.
5), « revenir » (l.
8), « se reforme » (l.
9).
• L'oiseau à l'œuvre : le nom de « cygne » n'est présent que dans le titre.
L'ensemble du texte en est la définition.
— Les activités spécifiques de l'oiseau sont bien rendues : mouvement sur le bassin à coups de palmes (« rame », 1.
10), brusque plongée du cou dans l'eau après un temps d'observation de la surface.
— Le rythme des phrases, longues ou très brèves, symbolise les mouvements de l'oiseau ; les plus longs paragraphes
sont ceux des gestes gracieux du cygne (l.
1-4; 10-13).
Noter l'effet produit par les blancs typographiques qui
marquent les arrêts de l'oiseau.
2.
L'objet de la quête
• Se nourrir de rêves : le cygne est en quête de nuages qui sont toute sa nourriture : « il n'a faim que des nuages » (l.
2) ; « c'est l'un d'eux qu'il désire » (l.
3).
— L'anecdote présente une action répétée : le cygne trouble une fois l'eau puis recommence sa quête.
Mais ce
mouvement de l'oiseau, qui « rame et s'approche » (l.
10-11) avant qu'il ne « plonge tout à coup son col vêtu de neige
» (l.
4), se perpétue indéfiniment dans le temps.
L'utilisation du présent de l'indicatif permet d'actualiser la scène mais
se charge également de valeurs intemporelles : « il s'épuise à pêcher de vains reflets » (l.
11).
• La personnification : les composantes de la scène dont douées d'une vie humaine : le cygne a des désirs, il est «
désabusé » (l.
7) puis « victime de cette illusion » que sont les nuages (l.
12).
Ceux-ci naissent (l.
2) puis sont «
effarouchés » (l.
6).
Les ondulations de l'eau « meurent » (l.
8).
— L'oiseau a l'air humain ; il a des préoccupations apparemment morales, mais il conserve toujours une apparence
animale : il ne parle pas comme chez La Fontaine et ne porte pas d'habits comme chez Granville.
3.
L'illusion poétique
• Les images : le poète nous fait suivre un transfert poétique : le cygne se nourrit de nuages, comme le texte se
nourrit d'images.
Métaphores et comparaisons sont fondatrices de l'atmosphère : la blancheur de l'oiseau qui glisse
suggère l'image du traîneau (l.
1) ; son cou évoque le bras d'une femme (l.
5).
— L'image de la blancheur duveteuse cristallise autour d'elle des sonorités : allitération en [s] (« il glisse sur le bassin »
(l.
1) ; « sur son léger coussin de plumes, le cygne...
s'approche » (l.
10-11).
Glissement suggéré aussi par les
sonorités fluides en « L » (l.
1-3).
• Les jeux de reflet : il y a correspondance entre deux blancheurs, celle des nuages et celle de l'oiseau, autrement dit
il y a reflet de nuage à plumage.
— Idée du narcissisme du cygne : le texte multiplie les occurrences du pronom personnel « Il » (15 fois).
Le poème est
plein du cygne et de son orgueil.
C'est lui-même en définitive qu'il cherche dans l'eau.
II.
L'ironie du poète.
»
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