Jules Vallès, L'Enfant
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Jules Vallès, L'Enfant
La maison que nous habitons est dans une rue sale, pénible à gravir, du haut de laquelle on embrasse tout le pays, mais où les voitures ne passent pas. Il n'y a que les charrettes de bois qui y arrivent, traînées par des boeufs qu'on pique avec un aiguillon. - Ils vont, le cou tendu, le pied glissant ; leur langue pend et leur peau fume. Je m'arrête toujours à les voir, quand ils portent des fagots et de la farine chez le boulanger qui est à mi-côte ; je regarde en même temps les mitrons tout blancs et le grand four tout rouge, - on enfourne avec de grandes pelles, et ça sent la croûte et la braise.
La prison est au bout de la rue, et les gendarmes conduisent souvent des prisonniers qui ont les menottes, et qui marchent sans regarder ni à droite ni à gauche, l'oeil fixe, l'air malade.
Des femmes leur donnent des sous qu'ils serrent dans leurs mains en inclinant la tête pour remercier.
Ils n'ont pas du tout l'air méchant.
Un jour on en a emmené un sur une civière, avec un drap blanc qui le couvrait tout entier ; il s'était mis le poignet sous une scie, après avoir volé ; il avait coulé tant de sang qu'on croyait qu'il allait mourir.
Le geôlier, en sa qualité de voisin, est un ami de la maison ; il vient de temps en temps manger la soupe chez les gens d'en bas, et nous sommes camarades, son fils et moi. Il m'emmène quelquefois à la prison, parce que c'est plus gai. C'est plein d'arbres ; on joue, on rit, et il y en a un, tout vieux, qui vient du bagne et qui fait des cathédrales avec des bouchons et des coquilles de noix.
A la maison, l'on ne rit jamais ; ma mère bougonne toujours. - Oh ! comme je m'amuse davantage avec ce vieux-là et le grand qu'on appelle le braconnier, qui a tué le gendarme à la foire du Vivarais !
Puis, ils reçoivent des bouquets qu'ils embrassent et cachent sur leur poitrine. J'ai vu, en passant au parloir, que c'étaient des femmes qui les leur donnaient.
D'autres ont des oranges et des gâteaux que leurs mères leur portent, comme s'ils étaient encore tout petits. Moi, je suis tout petit, et je n'ai jamais ni gâteaux, ni oranges.
Je ne me rappelle pas avoir vu une fleur à la maison. Maman dit que ça gêne, et qu'au bout de deux jours ça sent mauvais. Je m'étais piqué à une rose l'autre soir, elle m'a crié : " Ça t'apprendra ! "
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