Jules VERNE (1828-1905) - La nuit
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Jules VERNE (1828-1905) - La nuit Le soleil entraînant dans sa course lointaine Les brûlantes vapeurs, vers d'autres horizons, Ne dorait déjà plus la neige des tisons Que les brebis laissaient aux buissons de la plaine. L'âme était plus tranquille, et l'air était plus doux ! Loin du regard de feu du soleil, l'atmosphère Des fleurs qui respiraient, à l'ombre de la terre, Exhalait la fraîcheur, et le parfum dissous. La nuit tranquillement laissant ses tièdes voiles Confondre des objets les contours indécis, De moments en moments, dans les cieux obscurcis, Faisait étinceler de brillantes étoiles. L'veil les allait chercher, et dans l'azur bruni Apercevait bientôt leurs nombreuses phalanges ; - Parfois, il croyait voir la main sûre des anges Allumer les flambeaux de l'espace infini. Dans leur scintillement, les astres semblaient craindre De montrer à la nuit leur fragile lueur, Car elles vacillaient, et changeaient leur couleur, Comme un feu, quand le vent menace de l'éteindre. Les étoiles au loin s'enflammaient plus encore ; Comme une aigrette ignée, à l'horizon plus sombre, Débordaient sur le ciel, et projetaient dans l'ombre Qui tremblait sous leur vol, une lumière d'or ! Au zénith, s'arrêtait la lune ronde et pâle Laissant tomber sur terre un paisible rayon ; Rien n'était aussi doux, aussi pur, aussi blond ! La lune teignait tout de son reflet d'opale. De même qu'un métal laisse en sa fusion Echapper et briller comme une girandole Sa chaleur lumineuse, ainsi d'une auréole La lune s'entourait dans sa combustion. Elle était reine au ciel ; sa lumière argentée Etalait sa splendeur et son rayon si blanc Traçait jusqu'à la terre une route lactée, Faite du pâle azur, et des feux de son flanc. Le ciel adoucissait la fugitive teinte De sa robe azurée, en fuyant ce foyer, Brunissait, noircissait, puis allait s'oublier De l'horizon obscur dans la lointaine enceinte. Tout dormait en silence en la tranquille nuit ; Rien ne venait troubler le repos solitaire ; Sur ses bords éclairés, au sein de la rivière, Les arbres se penchaient et se miraient sans bruit. L'onde dormait aussi ; limpide et transparente, La lune y projetait ses éblouissements; Ses rayons brillaient comme un feu de diamants, Et formaient un brasier au sein de l'eau dormante. Le coteau du vallon plutôt bruni que noir, Se dessinait à peine, et de sa teinte obscure Parfois une lumière au fond d'une ouverture Comme un oeil lumineux se laissait entrevoir. Du sol indifférent, au sein de la nuit sombre Une clarté soudaine submergeait l'occident, Courait sur un toit, comme une plaque d'argent, Le faisait resplendir et scintiller dans l'ombre. De temps en temps, au sein du temps silencieux, De sa gueule d'airain, qui dirige sa note, Un cor lançant, tantôt de sa voix qui chevrote, Un son, clair, aigre, fort, qui s'entendait aux cieux ; Et tantôt retournant son pavillon mobile, Vers un autre horizon, on n'entendait dès lors Comme d'un faible écho que les lointains accords ; Ce n'était qu'un son doux pour l'oreille docile. Ou bien, aussi d'un chien le fidèle aboîment, Qui, répétant au loin sa prompte inquiétude, Venait parfois troubler la vaste solitude ; Des grenouilles, c'était l'aigre croassement. Ou bien l'exacte voix de l'horloge voisine Qui jetait aux humains le temps sonore et clair ; Ce temps qui dans la nuit s'enfuit comme l'éclair, Mais qui souvent, hélas, à pas tardifs chemine ! ... Et cependant la lune en son muet sommeil De sa lumière pâle, aimée, indifférente, Arbres, rivière, toits, d'un argent doux argente : Cette lune qui dort n'a jamais de réveil ! Tous ces bruissements, fourmillements sans nombre, Ces cris, vifs, éclatants, ou faibles, adoucis, Cherchent en vain l'écho dans les cieux obscurcis, Et viennent expirer dans l'immensité sombre !
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