La Bruyère, Les Caractères "Des femmes".
Extrait du document
La Bruyère, Les Caractères "Des femmes".
La dévotion vient à quelques-uns, et surtout aux femmes, comme une passion, ou comme le faible d'un certain âge, ou comme une mode qu'il faut suivre. Elles comptaient autrefois une semaine par les jours de jeu, de spectacle, de concert, de mascarade, ou d'un joli sermon: elles allaient le lundi perdre leur argent chez Ismène, le mardi leur temps chez Célimène, et le mercredi leur réputation chez Célimène; elles savaient dès la veille toute la joie qu'elles devaient avoir le jour d'après et le lendemain; elles jouissaient tout à la fois du plaisir présent et de celui qui ne leur pouvait manquer; elles auraient souhaité de les pouvoir rassembler tous en un seul jour: c'était alors leur unique inquiétude et tout le sujet de leurs distractions; et si elles se trouvaient quelquefois à l'Opéra, elles y regrettaient la comédie. Autres temps, autres moeurs: elles outrent l'austérité et la retraite; elles n'ouvrent plus les yeux qui leur sont donnés pour voir; elles ne mettent plus leurs sens à aucun usage; et chose incroyable! elles parlent peu; elles pensent encore, et assez bien d'elles-mêmes, comme assez mal des autres; il y a chez elles une émulation de vertu et de réforme qui tient quelque chose de la jalousie; elles ne haïssent pas de primer dans ce nouveau genre de vie, comme elles faisaient dans celui qu'elles viennent de quitter par politique ou par dégoût. Elles se perdaient gaiement par la galanterie, par la bonne chère et par l'oisiveté, et elles se perdent tristement par la présomption et par l'envie.
Liens utiles
- Lecture linéaire de Giton : Les caractères de la Bruyère
- La Bruyère , Les Caractères, 1688
- La Bruyère, Les Caractères, 1688
- La Bruyère, Caractères, Des biens de fortune
- La Bruyère, Les Caractères ou les moeurs de ce siècle. De la mode.1688. Les curieux