La condition Humaine d’André Malraux - 4e partie
Publié le 23/10/2022
Extrait du document
«
La scène que nous allons étudier est tiré de La Condition humaine, roman
d’André Malraux, d’abord publié par extraits dans La Nouvelle Revue française et
dans Marianne, puis publié en volume en 1933 aux éditions Gallimard, Roman
pour lequel il obtient le prix Goncourt à la fin de la même année.
Malraux se questionne ici sur l'homme par rapport au temps et à l'instinct de
mort, en montrant le cheminement intellectuel d'un communiste révolutionnaire
qui cherche un sens à sa vie et le trouve dans le terrorisme.
Tchen passe à l'acte
et va assassiner Tchang Kaï Shek.
Notre scène d’étude expose l’attentat suicide de Tchen sur la voiture du
général Chang-Kai-Shek, chef du Kuomintang et tyran désavoué par les
communistes- qui se solvera par un échec et la mort tragique du terroriste.
Cet extrait clôt la quatrième partie de la condition humaine, en ça il est
transitoire.
Il forme un nœud narratif fondamental dans l’avancé de l’histoire car
son enjeu se concentre sur la tentative utopique de renverser le rapport de force
entre communistes et fidèles de Chang-Kai-Shek, par l’assassinat de ce dernier.
Point culminant du roman qui marque la disparition d’un P sidérale : Tchen
Placer à l’extrême fin de la trame de ce P, cette scène achève la lente évolution
de Tchen en être terroriste pour la révolution communiste ; quête ultime vécu
comme un sacerdoce laïc.
En quoi la tension dramatique met-elle en valeur l'aboutissement de la quête de
Tchen ?
Ce passage peut être découpé en 2 mouvements majeures eux même divisé en 2
mouvements mineurs, soit 4 mouvements.
De « tout ce qui n’était pas son geste
résolu (l.1) à « au fond de la chaussée presque déserte » (l.26).
Malraux nous y
livre une description de l’univers -cette rue de Shangaï- et de ceux qui l’habitent.
Puis de « Tchen serra la bombe » (l.26) à « les yeux fermés » (l.42).
Ce passage
consiste en l’arrivée de la voiture, fort moment de suspens avec une montée de
la tension dramatique jusqu’à l’attentat.
Le 3e mouvement du texte débute à « Il
revint à lui » (l.44) et se clos à « reflet de lumière, des… » (l.50).
C’est une
description post attentat, décroissement de la tension dramatique.
Enfin le
dernier mouvement va de « déjà, il ne distinguait plus rien » (l.50) à « il tira
sans s’en apercevoir » (l.80).
On y voit le passage à une description émotionnelle
qui crée un nouvel accroissement de la tension.
Partie 1.1 :
L’extrait s’ouvre sur une forme négative du verbe être « n’était » (l.1) :
description qui place instantanément Tchen hors du temps de l’espace : hors du
monde.
Un monde presque noirâtre symbolisé par le champ lexical des ténèbres :
« nuit » (l.2) « brume » (l.4), « fumée » (l.4), dans lequel Tchen n’a pas sa
place.
Le pronom possessif « son » (l.2), juxtaposée à l’expression « geste résolu »
(l.2) créée la sensation que les actes de Tchen sont inévitables, ils semblent
soumis à une fatalité ; celle du terrorisme.
Comme si l’acte était enclenché et ne
pouvait être arrêté : Le destin de Tchen se concrétise par l’utilisation du
conditionnel présent « cette automobile qui arriverait bientôt » (l.3-4), il y a ici
une projection dans le futur de la part de Tchen, amplifié par l’ajout de l’adverbe
de temps « bientôt »
Ce futur se fait attendre car Malraux dresse une description de l’univers de la rue
dans laquelle se passe l’attentat.
Cet attentat est primordial pour Tchen, il est
mis en valeur de manière frappante : le moment devient fantastique.
L'atmosphère fantastique s'installe par des symboles propres au fantastiques :
tout d'abord dans l'univers du récit "la nuit" (l.2), "la brume" (l.4), "la fumée"
(l.4).
La personnification de ces éléments par un verbe d’Ac « détruisait » (l.5)
installe l’univers fantastique -genre qui transgresse le réel en se référant au
rêve, au surnaturel et à l’épouvanteIl faut noter que ce phénomène est tragiquement circulaire et s’entretient « la
brume nourrit par la fumée » (l.4), on a une continuation de la personnification,
rappelant la filiation mère/fille ou père/fils.
Il va falloir la briser.
Ce sera l’enjeu
du passage et de la quête de Tchen.
C’est ici un monde épouvantable qui s’installe.
On le constate dans la description
des P : « L’un derrière l’autre » (l.7), cet indicateur de lieu nie leur unicité et en
fait un troupeau bestial.
Dans « Se dépassant rarement » (l.8), l’indicateur de
temps « rarement » incarne cette fois ci un manque d’Ac, les lobotomisant.
Ceci est du ressort du destin « ordre tout puissant » (l .9) mais Malraux en
existentialiste l’explique par un déterminisme « la guerre eut imposé » (l.8).
L’utilisation du passé antérieur montre l’antériorité de ce mal -là guerre et ses
conséquences- sur le destin.
Apparait ici sa vision politique.
« Le silence général de leur marche » (l.10) nit toute unicité des êtres.
Ils sont
tue : « silence » (l.10) et ne sont plus que groupe « général » (l.10).
Les
multiples négations qui suivent « ne portaient » (l.11), « ne poussaient » (l.12)
affirme leur impossibilité à l’Ac.
Malraux les dénature en leur arrachant les objets
qui les définissent « pas de paquets, d’éventails » (l.11).
Lobotomisé donc ils
errent morne.
L’utilisation du mot « but » (l.13) additionné à une double
négation « n’eut aucun » (l.13) finie de sceller la vitalité sur l’autel de
l’abrutissement.
Tchen fait ce constat sur les êtres qui l’entourent : « ces ombres » (l.14).
Ce
nom commun donne un effet de noirceur à ce paysage.
Cette synecdoque fait de
l’ombre le tout de leur être, ce qui nie une nouvelle fois leur humanité.
L’on constate la présence d'un fleuve élément fantastique et mystique que
Malraux mystifie davantage encore : il le rend aimant « coulaient sans bruit vers
le fleuve » (l.15).
Il y a une métaphore des individus en barques.
Ce qui annihile
toutes possibilités de direction de leur part, le fleuve les dirige.
Ou plutôt c’est le Destin qui tient la barre : « le Destin même » (l.16), « cette
force » (l.16) l’on peut noter la majuscule à destin, qui rapproche le mot du
divin : Dieu, avec une majuscule.
Il confère alors à Dieu la responsabilité de ce
ces ténèbres.
mais avec prudence car à la forme interrogative.
On pourrait y voir
l’hypothèse de la vision de Malraux sur la théodicitée (la justice divine).
Ce fleuve ou ce destin les conduit -comme la phrase de Malraux vers son point-…
à la Mort.
C’est donc en anti destin qu’agit Tchen, pour quitter ce monde fantastique, fatal
et cette foule qui lui arrache son unicité.
Toutefois son Ac subit elle aussi la
fatalité, mais une fatalité choisie : On note un vocabulaire évoquant le registre
tragique : « ce monde tragique et flou » (l.21), « la trompe militaire » (l.22) :
synonyme de l’assaut dans la mythologie militaire.
Cette expression choisit par
Malraux ancre son action dans un registre épique et lui interdit fatalement la
retraite.
Partie 1.2 :
Ce premier mouvement majeur du texte est extrêmement structuré et 2
mouvement mineures émergent : le premier que l’on vient de voir, qui est une
description de l’univers et le seconde qui est celui qui mène à l’attentat.
Malraux pour lier les deux faits évoluer progressivement la tension dramatique
jusqu’au Climax de l’explosion.
Pour ce faire il utilise l’imparfait de description jusqu’à l’arrivée de la voiture où
le passé-simple d’action lui succède : « la trompe militaire de l’auto de ChangKai-Shek commença » (l.24-25 qui fait le pivot entre les 2 mouvements par le
temps).
Car l'action de premier plan s'exprime toujours au passé simple ; Ainsi
Malraux par le choix du temps lance l’action.
S’en suit une série de passé-simple
« serra » (l.26), « sembla » (l.29), « obstruèrent » (l.30), « ralentirent » (l.31) …
qui ont pour vocation de découper chaque seconde de l’action en temps réel à
mesure que la voiture avance.
C’est ici presque un « effet de réel » (Rolland
Barte), bien qu’il y ait aussi un but narratif de lancement de l’action.
Ce jeu des
valeurs de temps, favorise la lente montée de la tension dramatique de la scène.
Ce découpage quasi cinématographique de chaque action en temps réel créée du
rythme et une sensation de vitesse.
Ce morcèlement fait d’ailleurs penser au
tictac d’une bombe.
Malraux par ce choix syntaxique crée inévitablement du
suspens -que l’on peut définir comme un juste équilibre entre la peur et l’envie.
Sensation amplifiée par le champ lexical de la vitesse : « jaillit » (l.28),
« extraordinairement vite » (l.29-30) l’adverbe « extraordinairement » est un
superlatif absolu qui exprime un degré très élevé de la vitesse.
Donnant encore
plus de teneur à la sensation : une peur s’installe chez Tchen comme chez le
lecteur.
Il matérialise et cristallise ce sentiment peur dans la voiture, qui est une
émanation du général.
Il la personnifie et nous la révèle lentement, pour créer
un suspense haletant, effet dramatique très fort.
Tout d’abord par le son : « la
trompe militaire » (l.24).
L’oxymore « retentir sourdement » (l.25) met en valeur
la noirceur de ce bruit qui aveugle l’ouïe.
Puis son obscure clarté apparait
lentement, tout d’abord par les phares « les phares seuls sortaient de la brume »
(l.27) -l’on distingue une antithèse entre « phare » et « brume » ce qui rajoute
du contraste.
C’est enfin par la vue qu’elle s’incarne : elle apparait brusquement
dans une personnification évidente : « la voiture entière en jaillit » (l.28) ;
Malraux la figure en ange noire qui tel un char immense sort des ténèbres.
La
tension est alors palpable.
Mais Malraux en maitre de la tension instaure une courte pause dans l’avancée
vers le Climax dramatique, en faisant ralentir les voitures à cause de pousses qui
obstruent leur avancée fulgurante.
L’adjectif « soudain » (l.30) est un indicateur
temporel qui vient briser l’Ac.
Cette méthode très utilisée au cinéma -ce qui
encre le langage de Malraux dans celui cinématographique- à pour vocation de
donne un répit avant l’apogée émotionnelle d’une scène.
Ce qui permet à Tchen,
come au lecteur de respirer, chose que Malraux pose littéralement dans le texte :
« il essaya de retrouver le contrôle de sa respiration » (l.33).
On a donc une
parfaite ressemblance du fond et de la forme.
Mais le romancier relance directement la tension avec un parallélisme structurel
fort : « La Ford passa, l’auto arrivait » (l.34).
Le passage d’un passé simple temps d’une action brève dans le passé- à l’imparfait, nous fait ressentir
l’échéance proche.
La voiture s’incarne de nouveau dans une personnification qui la rend
monumental « elle donnait une impression de force » (l.36-37), sensation
augmenter par l’adjectif « grosse » (l.35).
L’ajout des deux policiers la rend
davantage imprenable encore.
Ce qui crée un doute chez Tchen.
L’énumération du pronom personnel « Il » (l.37 à 38) accolé à la négation « s’il
n’avançait pas » fait de Tchen le moteur de son doute.
Le conditionnel présent,
« s’en écarterait » (l.37) amplifie ce doute sur son action futur qui approche.
Juxtaposé à l’expression « malgré lui » qui est du registre tragique -au sens
Grec, c’est-à-dire d’origine quasi divine, fatalité contre laquelle il ne peut lutterle suspens est total.
Et nous sommes partagés entre la crainte de l’attentat et
l’envie qu’il soit concluant.
On distingue une comparaison entre la bombe....
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