La lecture est-elle le dialogue silencieux entre l'auteur et son lecteur ?
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«
SUJET :
« Un suffisant lecteur descouvre souvant ès escrits d'autruy des perfections autres que celles que l'autheur y a
mises et apperceües, et y preste des sens et des visages plus riches.
» (Montaigne, Essais, Livre I Chapitre
XXIV)
Il a toujours été question, à propos d'œuvres littéraires de genres variés, de la relation privilégiée entretenue par
l'auteur avec son lecteur.
La lecture est ainsi souvent assimilée à un dialogue silencieux entre eux, mais le rôle du
lecteur ne semble pas s'en tenir là.
MONTAIGNE écrivait même dans les Essais qu' « Un suffisant lecteur descouvre
souvant ès escrits d'autruy des perfections autres que celles que l'autheur y a mises et apperceües, et y preste des
sens et des visages plus riches.
» Seulement, peut-on parler de véritable relation entre l'auteur et son lecteur et en
quoi consiste-t-elle ? Il serait tout d'abord intéressant d'analyser quels types de rapports sont recherchés, instaurés
par les auteurs eux-mêmes lors de la rédaction de leurs ouvrages.
Comment, alors, le lecteur est-il en mesure
d'enrichir l'œuvre ? Dans un dernier temps, de quelle nature est la relation établie entre eux ?
Lors de la rédaction d'un ouvrage, l'auteur met en places ses règles du jeu, c'est-à-dire qu'il définit le rôle de son
lecteur, et les procédés d'écriture qui lui permettront de parvenir à ses fins.
Il est très fréquent de constater à la lecture d'une oeuvre des procédés d'implication du lecteur, sortes de prises
à témoin , qui l'obligent à être actif, à se positionner, parfois même malgré lui.
C'est souvent le cas de nouvelles,
ayant un but moralisateur, devant toucher fortement et rapidement le lecteur.
Ainsi, BOCCACE, dans son célèbre
Décaméron, laisse transparaître toute la subjectivité du narrateur par rapport aux personnages, implique le lecteur
en employant le « on » dans des formules comme « On juge de sa colère soudaine », et l'interpelle enfin : « Mais
n'est-ce point lâcheté vile pour quiconque, à plus forte raison pour un roi, d'égorger deux enfants nus dans leur
sommeil ? » Aussi l'auteur est-il sûr de toucher son lecteur, d'encourager sa réflexion, voire d'influencer son
attitude.
Ces procédés issus de la rhétorique ne peuvent laisser indifférent, et répondent ici au but premier de
l'écriture : convaincre, persuader l'auditoire.
L'auteur se constitue un allié.
Un autre exemple d'écriture impliquant le
lecteur, mais cette fois de manière plus subtile et surprenante, est le faux monologue de La Chute d'Albert CAMUS.
La présence d'un interlocuteur est marquée, notamment par des questions que le narrateur lui pose, ou des
remarques sur son attitude, mais aucune de ses paroles n'est retranscrite.
Or, le lecteur recrée ses interventions
mentalement, et a ainsi l'impression de dialoguer avec le narrateur, sans pour autant avoir le choix des réponses :
« Ferez-vous un long séjour à Amsterdam ? Belle ville, n'est-ce pas ? Fascinante ? Voilà un adjectif que je n'ai pas
entendu depuis longtemps.
»
Il apparaît aisé pour l'auteur de se faire un complice en la personne de son lecteur, et pas seulement pour guider
sa morale ou sa vertu, transmettre des conseils, mais aussi pour se constituer un allié, persuader de sa bonne foi,
contre l'adversité.
C'est effectivement l'objectif que peut avoir une œuvre autobiographique.
On pense dès lors aux
Confessions de
ROUSSEAU, qui
voulait se justifier
de ses fautes
devant la
postérité par des
récits
autobiographiques.
L'argumentation, l'exagération, ont ici pour but que les lecteurs « gémissent de [ses] indignités,
qu'ils rougissent de [ses] misères ».
il se place en victime du destin, de la société, d'une certaine fatalité intérieure
même, et cherche à prouver au lecteur son innocence.
Il sait provoquer la compassion, l'émotion, et il semble
difficile de ne pas se prêter au jeu.
Le lecteur est en effet toujours enclin à s'identifier au narrateur, d'autant plus
quand les faits relatés sont réels et font appel à sa sensibilité.
Seulement il n'est pas évident de savoir si l'on peut
se fier au narrateur, et à l'auteur, ou non.
Le lecteur ne peut savoir quel rôle l'auteur lui réserve avant la lecture de l'œuvre, et il arrive parfois qu'il se laisse
mener les yeux fermés.
On pense alors à Alfred HITCHOCK, cinéaste et auteur, maîtrisant parfaitement le suspense.
Il joue avec le spectateur, contrôlant chaque étape de sa réflexion, pour qu'il croie sans cesse deviner la suite des
évènements mais qu'il ait toujours tort.
Une telle habileté à manier les esprits se retrouve dans le Supplément au
Voyage de Bougainville, de DIDEROT.
En inversant l'ordre chronologique des faits, et en mêlant les évènements réels
et les ajouts, il oblige le lecteur à suivre la réflexion des personnages A et B, ainsi que se indices, les symboles et
les motifs récurrents, comme un jeu de pistes.
Il ne peut que difficilement sortir du circuit tracé par l'auteur pour
stimuler sa réflexion.
De plus, DIDEROT s'appuie beaucoup sur l'effet de surprise pour tromper son lecteur : il se
moque de son propre livre, « Ce préambule qui ne signifie rien », et donne plusieurs fonctions à A et B, à la fois
personnages et lecteurs de son œuvre.
Il apparaît alors que le rôle du lecteur est prédéterminé par l'auteur, qui l'influence et le mène où bon lui semble..
»
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