La littérature baroque
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La littérature baroque
Ce n'est pas sans quelque inquiétude que nous entreprenons ici la tache d'entretenir les honnêtes gens de ce que
les experts nomment : La Littérature Baroque.
Cette épithète, dans le commun vocabulaire, retient, en effet, à l'ordinaire, un sens fâcheux.
Les esprits baroques
sont ceux qui se délectent aux fantaisies étranges et aux desseins chimériques.
Les fils de famille, qui dilapident leur
patrimoine et multiplient les solécismes de conduite, sont accusés par leurs parents pauvres d'avoir un
comportement baroque.
Bref, il semble qu'en articulant cet adjectif, tout chargé de malédictions philistines, le grand
bourgeois français se souvienne, à son insu, que c'est, à l'origine, un terme technique des lapidaires et qu'une perle
baroque est un joyau insolite, dont la matière, certes, se recommande par la splendeur de son orient, mais dont la
rondeur demeure imparfaite.
Les spécialistes, ceux que le XVIIe siècle appelait avec révérence les habiles, ont, au contraire, ravi à ce mot, déplorablement équivoque, toute
signification péjorative.
Les historiens de l'art se sont plu, les premiers, à s'en servir pour qualifier de nombreux monuments et ouvrages plastiques
exécutés en Europe, aux Indes, en Amérique du Sud par les successeurs immédiats ou lointains de Michel-Ange.
Puis les critiques littéraires, obscurément jaloux de rivaliser avec les esthéticiens, se piquant au jeu, rangèrent sous
la rubrique : Littérature Baroque, les textes de la littérature européenne conçus et publiés entre 1580 et 1650 ;
d'une part, parce qu'ils sont contemporains des réussites les moins contestables de l'art baroque, d'autre part,
parce qu'ils participent de la même sémantique que celles-ci.
Enfin, quelques téméraires, au lieu de faire du baroquisme le principe stylistique d'une époque bien déterminée, ne
balancèrent pas à le transformer en une essence constante des arts et des littératures occidentales, dont la
vitalité, pour peu que certaines circonstances l'excitent, soudain se réveille et se dépense durant une période de
durée imprévisible.
La civilisation et la culture, dont nous nous réclamons, si on les réfléchit dans l'ensemble de leur évolution et de leur progrès, offriraient donc à la
méditation des curieux une perpétuelle et, peut-être, fastidieuse alternative de classicisme et de baroquisme.
A une fête classique fort courte
succéderait un long sabbat baroque, agrémenté de caprices et de scandales divers.
C'est ainsi qu'en France le bref classicisme de la Pléiade serait
durablement ruiné par les impétueux efforts d'Aubigné, des compagnons libertins de Henri IV, des truculents ivrognes, qui rimèrent sous la
surveillance jalouse de Richelieu, et des maniéristes mignards.
De terme, au classicisme mélodieux et cruel de Racine on verrait se substituer, après
un demi-siècle de tentatives indécises, le baroquisme romantique, exploité et achevé par le baroquisme surréaliste.
Cette aventureuse théorie qui, quant à nous, nous séduit par sa vraisemblance, soulève, cependant, une question
qui mérite examen : " Le baroquisme est-il une désagrégation du classicisme ou une réaction originale contre la
sévérité de ses lois ? "
Les régents de collège, qui usent leurs forces à gémir sur l'effrayante décadence des moeurs et du goût, tiennent le
baroquisme pour une répugnante corruption, pour une maladie mortelle, capable d'infecter en quelques années le
classicisme le plus sain, jusqu'à le changer en un cadavre presque liquide, fourmillant, pullulant, purulent.
Les
amateurs sans préjugés ni préventions en arrivent, au contraire, à croire que le baroquisme est une forme
essentielle parfaitement distincte du classicisme, quoiqu'elle compose entre eux et introduise à l'existence
esthétique les mêmes éléments primitifs que lui.
Pour ne pas fatiguer le lecteur par un chaos d'idées un peu vagues, il convient maintenant que nous lui proposions
quelques définitions précises.
Le classicisme, dans ses manifestations variables et variées, résulte toujours, à notre sens, d'un état de total et
parfait (bien que précaire) équilibre hiérarchique entre l'inconscient et la conscience.
Les créations émouvantes et
périlleuses de celui-là sont réduites au rôle de soubassement, d'ailleurs prisé fort haut, d'un édifice bien tempéré que
couronne le fronton critique de la conscience, dont l'ordre rationaliste impose à l'ensemble une discipline à la valeur
incontestée.
Quoiqu'il soutienne la conscience et la fonde, l'inconscient, lorsqu'il collabore à l'accomplissement de
l'oeuvre classique, ne s'avise jamais de mêler ses phantasmes aux produits concertés de la conscience : tous deux
se confinent dans la pureté de leurs privilèges propres.
Le baroquisme, au contraire, s'il provient bien d'une rupture d'équilibre entre la conscience et l'inconscient, n'est
pas, à vrai dire, caractérisé par une insurrection violente de celui-ci contre celle-là, mais par une confusion
systématique des inventions de leurs deux ordres.
Il s'ensuit que le baroquisme, dans son propos d'imiter et d'interpréter tous les accidents de la vie de l'homme et du
monde, se plaît aux sentiments incertains et aux situations fausses.
Il présente et constate.
Il répugne à
s'expliquer.
Suivant l'exemple du laborieux ouvrier, qui fabrique sans cesse les mixtes de ce monde sublunaire, il
procède continuellement à des contaminations instables de l'âme par le corps, et, faisant de nonchalants emprunts
aux divers règnes de la nature, il évoque des visions monstrueuses de pierres végétales, d'animaux-plantes et
d'hommes-rochers.
La religion classique emploie des soins exquis pour définir définitivement les lieux communs de la théologie, afin de.
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