LA MORT D'ISEUT - THOMAS ET BEROUL, Tristan et Iseut, entre 1150 et 1200.
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LA MORT D'ISEUT
Blessé, Tristan ne veut pas mourir sans revoir Iseut, la femme du roi Marc de Cornouaille, qu'il aime d'un amour impossible. Son beau-frère Kaherdin part la chercher : si la voile du navire, au retour, est blanche, c'est qu'il ramène Iseut; sinon, elle sera noire. Iseut n'hésite pas un instant à prendre la mer pour répondre à l'appel de Tristan. Mais, en mer, c'est le calme plat et le navire, alors qu'il allait bientôt aborder, est retenu, immobile, au large. Cependant que Tristan, épuisé, se désespère, sa femme imagine une ruse perfide : elle lui annonce qu'elle a vu la nef de Kaherdin et que la voile est noire, alors qu'elle est blanche ... Tristan prononce trois fois le nom d'Iseut et meurt à la quatrième.
Alors pleurent, par la maison, les chevaliers, les compagnons, leur cri est haut, leur plainte est grande. Chevaliers et serviteurs sortent ; ils portent le corps hors de son lit, puis le couchent sur du velours et le couvrent d'un drap brodé. Le vent s'est levé sur la mer et frappe la voile en plein milieu: il pousse la nef vers la terre. Iseut est sortie de la nef ; elle entend les grandes plaintes dans la rue, les cloches des moutiers, des chapelles. Elle demande aux hommes les nouvelles : pourquoi sonner, pourquoi ces pleurs? Alors un ancien lui dit: "Belle dame, que Dieu m'aide, nous avons ici grande douleur : nul n'en connut de plus grande. Tristan le preux, le franc, est mort: c'était le soutien de ceux du royaume. Il était généreux pour les pauvres et secourable aux affligés. D'une plaie qu'il avait au corps, en son lit il vient de mourir; jamais si grand malheur n'advint à notre pauvre peuple".
Dès qu'Iseut apprend la nouvelle, de douleur elle ne peut dire un mot. Cette mort l'accable d'une telle souffrance qu'elle va par la rue, vêtements en désordre, devançant les autres, vers le palais. Les Bretons ne virent jamais femme d'une telle beauté : ils se demandent, émerveillés, par la cité, d'où elle vient et qui elle est. Iseut arrive devant le corps; elle se tourne vers l'Orient, et, pour lui, elle prie en grande pitié., "Ami Tristan, quand vous êtes mort, en raison je ne puis, je ne dois plus vivre. Vous êtes mort par amour pour moi et je meurs, ami, par tendresse pour vous puisque je n'ai pu venir à temps pour vous guérir, vous et votre mal. Ami, ami! de votre mort, jamais rien ne me consolera, ni joie, ni liesse, ni plaisir. Maudit soit cet orage qui m'a tant retenue en mer, ami, que je n'ai pu venir ici! Si j'étais arrivée à temps, ami, je vous aurais rendu la vie, je vous aurais parlé doucement de l'amour qui fut entre nous ; j'aurais pleuré notre aventure, notre joie, notre bonheur, la peine et la grande douleur qui ont été en notre amour. J'aurais rappelé tout cela, je vous aurais embrassé, enlacé. Si je n'ai pu vous guérir, ensemble puissons-nous mourir! Puisque je n'ai pu venir à temps, que je n'ai pu savoir votre aventure et que je suis venue pouj7 votre mort, le même breuvage me consolera. Pour moi vous avez perdu la vie etj 'agirai en vraie amie: pour vous je veux mourir également".
Elle l'embrasse; elle s'étend, lui baise la bouche et la face ; elle l'embrasse étroitement. Aussitôt elle rend l'âme et meurt ainsi, tout contre lui, pour la douleur de son ami.
THOMAS ET BEROUL, Tristan et Iseut, entre 1150 et 1200.
Liens utiles
- La légende de Tristan et Iseut
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