LA PERSONNALITÉ DE MONTESQUIEU
Extrait du document
«
Montesquieu avait rempli trois cahiers de notes, qui ont été groupées par matières, en 1941, par Bernard Grasset.
Ces pages
rayonnantes de lucidité permettent de découvrir le fond de son âme.
Montesquieu conçoit l'univers comme un champ d'exploration
méthodique; jamais il ne s'en remet à l'instinct du soin de diriger sa conduite, ses opinions ou sa plume : il y a pour lui un art de vivre,
un art de penser, un art d'écrire.
L'ART DE VIVRE
L'art de vivre consiste dans une recherche méthodique du bonheur : « Il ne faut point beaucoup de philosophie
pour être heureux; il n'y a qu'à prendre des idées un peu saines.
» Il appartient à la raison de concevoir ces
idées et d'engager la volonté conformément à ses vues.
Proscrire les passions.
La raison veille à ne pas laisser l'âme sous la dépendance des passions qui la
rendraient malheureuse.
Il est agréable d'aimer, mais non pas d'être enchaîné par l'amour : « J'ai été dans ma
jeunesse assez heureux pour m'attacher à des femmes que j'ai cru qui m'aimaient.
Dès que j'ai cessé de le
croire, je m'en suis détaché soudain.
» Il est agréable d'avoir de grands desseins, mais non pas de se laisser
tourmenter par l'ambition : « J'ai l'ambition qu'il faut pour me faire prendre part aux choses de cette vie; je n'ai
point celle qui pourrait me faire trouver du dégoût dans le poste où la nature m'a mis.
» Il est agréable de
s'intéresser aux biens de la fortune, mais non pas de subir leur tyrannie : l'argent est un « bon esclave », mais
un « méchant maître ».
Accepter le destin.
La raison dispose l'âme à tirer le meilleur parti possible de la situation qui lui est faite : «
Cherchons à nous accommoder de cette vie; ce n'est point à cette vie à s'accommoder à nous.
» Montesquieu
sait discerner le bon côté de toutes choses : « Je suis presque aussi content avec des sots qu'avec des gens
d'esprit.
» Si une infirmité survient, il est capable d'y adapter sa vie : « Quand je devins aveugle, je compris
d'abord que je saurais être aveugle.
» Il entend se préparer à subir le sort commun des mortels : « Je n'ai plus
que deux affaires : l'une, de savoir être malade; l'autre, de savoir mourir.
»
Cultiver les plaisirs.
La raison enseigne enfin à retirer de la vie le plus grand nombre possible de jouissances.
Il y a un agrément dans le seul sentiment d'exister : « Je m'éveille le matin avec une joie secrète; je vois la
lumière avec une sorte de ravissement.
Tout le reste du jour, je suis content.
» Il y a des satisfactions sociales,
fierté de posséder un titre, agrément des conversations mondaines, plaisirs moins frivoles de l'amitié; on doit les
multiplier et les varier : « Quand on n'a pas d'appétit, il faut quitter la table et aller à la chasse.
» Les joies les
plus hautes enfin sont celles que se donne l'esprit dans la solitude et le recueillement : « L'étude a été pour moi le
souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait
ôté.
»
L'ART DE PENSER
L'art de penser consiste dans une recherche méthodique de la vérité.
« Être vrai partout », telle est la règle que
s'est donnée Montesquieu.
Dans cet ordre de recherche aussi, la raison commande.
Proscrire les préjugés.
La raison affranchit l'âme des préjugés qui lui masquent la vérité : il en est de tous
ordres.
Les disputes littéraires sont des querelles de préjugés; le sage en tire enseignement sans prendre parti :
« J'aime à voir les querelles des Anciens et des Modernes; cela me fait voir qu'il y a de bons ouvrages parmi les
Anciens et les Modernes.
» Il en est de même pour les luttes religieuses : « La religion catholique détruira la
religion protestante, et ensuite les catholiques deviendront protestants.
» C'est encore un préjugé que d'exalter à
l'excès sa patrie : « Tout citoyen est obligé de mourir pour sa patrie; personne n'est obligé de mentir pour elle.
»
Il faut s'élever au-dessus des considérations particulières et inscrire chaque notion à sa place dans l'ordre
universel.
Accepter le réel.
Le pire préjugé serait de rejeter l'ordre actuel pour s'abandonner au rêve chimérique d'une
révolution, car cet ordre trouve une justification de fait dans son existence même et dans sa durée : « Le meilleur
(gouvernement) de tous est celui dans lequel on vit, et un homme sensé doit l'aimer.
» Par honnêteté d'esprit,
autant que par amour de la tranquillité, Montesquieu proclame : « Je suis un bon citoyen; mais, dans quelque
pays que je fusse né, je l'aurais été tout de même.
»
Préparer l'avenir.
Mais la raison qui s'incline devant l'ordre actuel céderait encore à un préjugé, si elle le
considérait comme le seul bon.
Même en matière politique, Montesquieu est rebelle aux traditions imposées : « Je
n'épouse pas les opinions, excepté celles des livres d'Euclide.
» Toute autorité est condamnable si elle n'est
raisonnable : « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi; elle doit être loi parce qu'elle est juste.
» L'amour
de la raison et de la justice le conduit à accueillir l'idée de toute réforme équitable.
L'ART D'ÉCRIRE
L'art d'écrire, enfin, consiste dans une recherche méthodique de l'effet.
Souveraine également dans ce domaine,
la raison enseigne à se défier du premier jet, car il faut veiller « à écrire avec ordre, à raisonner juste et à bien
former ses raisonnements » : ainsi, le style est la discipline de l'inspiration.
Il y a lieu aussi de rehausser la
pensée grâce aux prestiges de la rhétorique : Montesquieu dose savamment l'ironie et l'humour; il veut « mettre
du sel » dans ses ouvrages.
De tous les « philosophes », il est ainsi, peut-être, le plus consciemment artiste..
»
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