La poésie du 18 ième siècle
Extrait du document
«
UNE ÉPOQUE ANTIPOÉTIQUE
De toutes nos époques littéraires, la première moitié du XVIIIe siècle est la plus pauvre en
belles oeuvres poétiques.
Elle justifierait l'opinion de Chénier : « De toutes les nations de
l'Europe, les Français sont ceux qui aiment le moins la poésie et qui s'y connaissent le moins.
»
On n'aime pas la poésie.
Bien que certains poètes aient connu un succès qui atteignit parfois
à l'enthousiasme, l'esprit général du public est hostile à la poésie.
Quelques écrivains organisent
contre elle une véritable campagne.
Par un étrange paradoxe, c'est un poète, Houdart de la
Motte, qui est à la tête du mouvement : ce curieux personnage, après avoir écrit quantité
d'odes et d'églogues, et traduit en l'abrégeant L'Iliade d'Homère, se lança dans une grande
controverse afin de prouver la supériorité de la prose sur la poésie, qui obscurcit la pensée et
retarde les progrès de la raison.
De même, Montesquieu voit dans les poètes des gens « dont le
métier est de mettre des entraves au bon sens » et il ne cache pas son mépris pour les poètes
lyriques, « qui font de leur art une harmonieuse extravagance ».
On ne comprend pas la poésie.
En un temps où l'activité des écrivains est de plus en plus
absorbée par les recherches philosophiques, la poésie est considérée comme le passe-temps
futile de quelques oisifs, « une ressource innocente contre l'ennui ».
Le seul agrément de la
poésie réside dans « le vain mérite de la difficulté vaincue » : ainsi l'abbé de Pons compare le
poète, qui lutte contre les difficultés de son art, à un danseur de corde.
Le sens profond de la
poésie est méconnu : le rythme n'est qu'un « bruit mesuré », peu digne de forcer l'attention
d'hommes raisonnables.
Vauvenargues ne craint pas d'écrire : « Les grands poètes pourraient
employer leur esprit à quelque chose de plus utile pour le genre humain que la poésie.
»
UNE PRODUCTION SANS ÉCLAT
Au reste, chez aucun poète ne brille l'étincelle du génie.
Certains s'obstinent à pratiquer la
haute poésie, qui leur est pourtant fermée.
J.-B.
Rousseau (1671-1741), follement célébré en
son temps, fut considéré comme le continuateur de Malherbe et de Boileau; ses Cantates, ses
paraphrases de Psaumes, ses Odes sacrées et profanes révèlent un sens réel de l'harmonie,
malheureusement gâché par un ton oratoire d'une lassante solennité.
Le Franc de Pompignan
(1709-1784), ennemi des philosophes, auteur de poésies sacrées et d'Odes, passa pour un
modèle de pureté; en fait, ce poète naïf et compassé ne survit guère que par son Ode sur la
mort de J.-B.
Rousseau.
D'autres, moins prétentieux, manient les petits genres, mieux appropriés au goût du jour.
Ainsi, Gresset conte dans Vert-Vert l'histoire d'un perroquet qui s'égare dans un couvent de
religieuses; Piron, l'infatigable railleur, excelle dans la chanson et trousse l'épigramme avec
malice..
»
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