« La poésie n'est pas un ornement, elle est un instrument », a prétendu Victor Hugo. Commentez ?
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« La poésie n'est pas un ornement, elle est un instrument », a prétendu Victor Hugo.
Commentez.
Introduction :
a) La poésie, qui chante nos joies ou nos douleurs, est éternelle.
Mais doit-elle sa pérennité à sa Beauté ?
b) Victor Hugo ne semble pas croire à cette explication quand il écrit : « La poésie n'est pas un ornement, elle est
un instrument ».
c) Qu'entend-il par là et pouvons-nous être d'accord ?
I.
— Thèse de Hugo :
Elle exprime une double conception :
A.
— La poésie n'est pas un ornement :
Hugo repousse la thèse de ceux qui proclament l'inutilité de la poésie, par exemple...
a) Malherbe, qui disait selon Racan : « C'est sottise de faire des vers pour en espérer autre
récompense que son propre divertissement : un bon poète n'est pas plus utile à l'Etat qu'"un
bon joueur de quilles";
b) Musset, qui raille les prétentions utilitaires de la poésie dans Namouna (1829) et dans
Dupuis et Cotonet (1836);
c) Gautier surtout, qui, à partir de 1830, s'élève contre l'orientation utilitaire de l'art
romantique et affirme la nécessité de l'art pour l'art, en écrivant dans la Préface de Mlle
Maupin (1833) : « Il n'y a vraiment de Beau que ce qui ne peut servir à Rien ».
Il prétendait
même que la beauté de la poésie réside dans son inutilité.
B.
— Elle est un instrument :
Selon Hugo, le poète doit être au service d'un idéal religieux, politique, et destiné à
conseiller, à guider un siècle.
a) Hugo lui-même s'est défini « l'écho sonore » de son temps, et n'a pas craint, dès la Préface des Odes, de
s'engager dans la croisade libérale et de magnifier dans toutes ses poésies lyriques, épiques ou satiriques, les
grandes aspirations de son temps et à en dénoncer âprement les adversaires :
Un roi, c'est de la guerre, un dieu, c'est de la nuit.
b) C'est la thèse de l'engagement qu'avait déjà soutenue avant lui La Pléiade, en particulier Ronsard (Ode à Michel
de l'Hôpital).
c) C'est aussi la thèse de la plupart des Romantiques, qui, après 1830, participent au mouvement libéral : Cf.
Lamartine : A Némésis, La Marseillaise de la paix, La Chute d'un Ange.
Vigny lui-même met une semblable définition
du poète dans la bouche de Chatterton.
Peut-on accepter cette thèse sans discussion ?
A.
— Dangers de la poésie :
On remarquera, tout d'abord, que Hugo, en proposant une thèse aussi systématique, passe sous silence un
troisième aspect de la question : celle des dangers mêmes de la poésie; surtout lorsqu'on prétend en faire un
instrument :
a) Elle peut, en effet, paraître un embellissement de la réalité, qui transfigure tout : les poètes ne risquent-ils pas
de déformer en nous le sens du réel; Madame Bovary n'a-t-elle pas eu l'imagination pervertie par des lectures
chimériques ?
b) A écrire ou à lire des vers, on risque d'oublier les devoirs immédiats qu'impose la vie.
Faisant appel non à
l'intelligence et à la raison mais à la sensibilité et à l'imagination, la poésie ne peut rien démontrer.
Or, souvent, on a
besoin de trouver en face des réalités une solution claire.
Les « philosophes » prétendaient écrire pour agir : aussi
n'appréciaient-ils guère la poésie (Montesquieu, d'Alembert, Vauvenargues).
Déjà, dans l'antiquité, Platon, à cause
de ce déséquilibre qu'elle entraîne dans l'âme au profit des forces irrationnelles, avait voulu chasser les poètes de la
Cité.
c) Enfin la poésie peut être une tentation de parer de ses beautés harmonieuses des idées ou des sentiments
discutables.
C'est ainsi que Rousseau condamne les tragédies de Racine parce que ce dernier pare de la séduction
du vers ou de l'art nos vices et nos faiblesses.
B.
— Faiblesses de la poésie engagée :
Or c'est précisément le cas de la poésie engagée de proposer des idées ou des sentiments discutables, les « mythes
» d'une génération, les modes passagères :
a) Ce sont les résultats de cette « conception instrumentale » de la poésie qui font aujourd'hui sourire, par exemple
cette affirmation de Victor Hugo que :
Tout homme qui sait lire est un homme sauvé, parce que l'affirmation est trop précise, trop datée et a démenti sa
promesse illusoire.
b) De plus, la recherche de l'utilité, de l'engagement pour une cause trop voyante, risque de tourner au didactisme
ou, du moins, d'indisposer le lecteur et de tuer partiellement la poésie.
C'est ce qui est arrivé aux Tragiques
d'Agrippa d'Aubigné, qui, publiés trop tard, ne trouvèrent plus d'écho dans les esprits enfin pacifiés, — et cela en
dépit de leur magie verbale..
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