L'acacia (Claude Simon )
Extrait du document
«
Assimilé au mouvement du « nouveau roman », Claude Simon publie L'acacia en 1989, un ouvrage dans lequel
une composition de scènes parallèles se déroulent pendant les deux premières guerres mondiales.
Il y dénonce « la
mort absurde au combat », mais s'attache également à saisir l'essence de la guerre, intemporelle et universelle, qu'il
qualifie de « couche la plus profonde de notre temps historique ».
L'écoulement du temps est une des
préoccupations majeures de Simon : son récit est un flux ininterrompu de mots, une accumulation de précisions, à
l'image du temps qui fuit inexorablement…Sa production écrite semble être immédiate : les pensées du narrateur
sont retranscrites en cours de récit, comme si ce dernier n'avait pas pu se corriger.
Comment l'écriture, qui est
traditionnellement congélation de la pensée, parvient-elle à feindre l'écoulement temporel ?
Cet extrait, intitulé « 17 mai 1940 », est un récit continuel, il est caractérisé par une accumulation de
précisions, et par un temps d'écriture original.
Il s'agit d'un extrait sans fin ni début, ces quarante lignes n'ont pas permis à Simon de finir sa phrase.
L'écriture
y est donc continuelle, s'adaptant ainsi à l'inexorable déroulement des actions guerrières.
Il est difficile de discerner des mouvements dans ce texte puisqu'il prend la forme d'une poursuite ininterrompue
du temps ; néanmoins les lignes 1 à 13 sont le récit d'une action présente (les deux militaires se rencontrent), les
lignes 14 à 26 racontent le début de l'anecdote du chauffeur de camion, et les lignes 27 à 40 sont la chute de cette
histoire, plus éloignée sur l'échelle du temps (« le lendemain matin », ligne 26).
C'est donc l'action qui nous permet
de distinguer les différentes pauses dans le récit, bien plus que le style.
La structure de ce texte est originale,
Simon est d'abord inspiré par Proust ou William Faulkner, puis il développe sa propre syntaxe, d'une richesse et d'une
longueur parfois étonnante (certaines phrases dans L'acacia s'étalent sur plusieurs pages).
Le point n'intervient que
très rarement, il est d'ailleurs absent dans ce passage.
La ponctuation est extrêmement présente dans ce texte, ces pauses dans le récit : parenthèses, virgules,
point-virgule, deux points, points de suspension ou encore guillemets ; viennent sans cesse freiner le déroulement
de l'action.
Paradoxalement, si cette dernière est immédiate, elle est aussi saccadée, constamment empêchée par
un style redondant.
A la ligne 13 par exemple, « ceci : » est un pléonasme : « ceci » ou « : » auraient suffis,
cependant Simon met deux fois en valeur la proposition à venir.
Le ralentissement de l'action s'opère donc par de
constants retours en arrière et précisions : « le chauffeur était toujours allongé dans la même position, les bras
protégeant toujours la tête » (l.29) ; ou encore : « les écussons aux couleurs mariales (blanc et bleu)» (l.10).
Les
répétitions sont omniprésentes et créent une impression de progression laborieuse dans l'écriture, les termes « le
chauffeur de camion » et « le sous-officier » sont respectivement présents quatre et sept fois dans le texte ; un
procédé commun à la littérature russe, que l'on retrouve chez Dostoïevski notamment, dans Le joueur, où le nom
complet d'Alexis Ivanovitch revient constamment.
La syntaxe de Simon s'allonge donc, en apparence indéfiniment,
par des procédés d'entrave liés à la mémoire.
Le narrateur modifie son texte en même temps qu'il l'écrit, il y apporte
des précisions semble-t-il en temps réel.
Car « trouver le mot juste » est le fondement de l'entreprise littéraire de Claude Simon.
Ce récit continuel dans
sa forme, cette multitude de propositions juxtaposées, de comparaisons, périphrases et accumulations, dévoile une
partie du mécanisme d'écriture.
Ce texte semble n'avoir pas subit le traditionnel travail de correction de l'écrivain :
le narrateur cherche ses mots tandis que le lecteur les lit : « (les vareuses qu'ils portaient maintenant sans
ceinturon, simplement pendantes, maculées de tâches, comme des vareuses d'ouvriers ou de paysans - ou plutôt de
vagabonds) » (l.12, 13).
Au lieu d'un récit retravaillé, épuré, corrigé, Simon propose un texte à l'apparence d'un
premier jet.
On ne trouve pas de marques d'oralité (hormis le dialogue de la ligne 32), cependant ce débit rapide de
mots fait certainement référence aux paroles précipitées du militaire racontant son anecdote.
Le narrateur écrit lui
aussi comme s'il ne pouvait revenir en arrière pour effacer ses brouillons ; il arrive qu'un terme ne convienne pas, il
lui trouve aussitôt un équivalent plus proche de la réalité : « (le fantôme, le revenant) » (l.13) ; « même pas
essuyée, noires de sang coagulée » (l.31).
A la recherche du bon mot, Simon écrit donc un récit de guerre, certes,
marqué par la violence « découpé à la hache » (l.3), « bourrer de coups de pied le corps inerte » (l.21), « un tas de
ferrailles en train de se consumer » (l.39), mais davantage encore par un style étouffant, qui semble sans fin (avec
l'anaphore en « et » des lignes 16 et 17, qui allonge la phrase).
Ce passage est donc un récit continuel à la syntaxe ample et ralentie par de multiples retours en arrière.
Parmi.
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