L'art baudelairien
Extrait du document
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Au service de son analyse scrupuleuse et aiguë, Baudelaire met un art savant, qui, dans les meilleures pièces, tient le lecteur en
haleine par le nombre, la qualité, la sûreté des effets produits.
Pour évoquer la complexité de son drame intérieur, il utilise tous les
procédés du langage poétique et atteint ainsi à une plénitude d'expression qui fait paraître pâles ou vaines, en comparaison, beaucoup
d'effusions romantiques.
LE VOCABULAIRE
Dans son vocabulaire poétique, Baudelaire innove peu; le plus souvent, il restitue aux termes les plus simples,
grâce à la vigueur de sa pensée ou à la profondeur de son émotion, l'éclat qu'ils ont perdu dans l'usage banal;
ainsi, lorsqu'il s'écrie : « O Mort, vieux capitaine, il est temps, levons l'ancre! », le substantif Mort, si couramment
employé, se trouve rehaussé par l'apostrophe solennelle et par la coupe.
Quelquefois, cependant, Baudelaire
donne une saveur particulière à sa poésie par l'emploi de vocables rares (calenture, dictame) ou triviaux (panse,
cafard).
Il marque enfin une prédilection pour certains mots qui traduisent les états dominants de sa conscience et
qui, par leur retour fréquent, imposent une unité de ton : spleen, angoisse, volupté, désespoir, péché, remords,
destin.
LES IMAGES
Beaucoup d'images ont, dans la poésie de Baudelaire, une originalité, une ampleur, une densité extraordinaires.
S6uvent, le poète donne une personnalité à des abstractions, à la Douleur qui l'escorte dans une promenade au
crépuscule, à la Beauté au regard fascinateur, aux fièvres qui « s'en vont d'un pied traînard ».
Dans d'autres
poèmes, il décrit, avec un grand pouvoir d'évocation, des paysages lointains (Parfum exotique), irréels (Rêve
parisien) ou macabres (La Servante au grand coeur); il transpose des états d'âme et prête, par exemple, à
l'espérance vaincue par le spleen l'aspect d'une chauve-souris affolée de ne pouvoir voler en liberté (Spleen IV);
ou même il substitue une représentation visuelle à une autre, voit dans une femme qui marche un navire qui vogue
sur les flots (Le Beau Navire), résume l'oeuvre entière d'un peintre en un paysage imaginaire et synthétique :
Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays;
Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d'un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,
Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement...
(Les Phares)
LES SYMBOLES
Baudelaire utilise le symbole à la manière romantique, sous la forme d'une image associée à une idée qui se
précise à la fin du poème : ainsi l'albatros tombé sur le pont d'un navire symbolise la misère du poète parmi les
hommes Mais il associe aussi des sensations de nature différente, par exemple un parfum et une vision (La
Chevelure); et par là il se montre un précurseur.
« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent », a-t-il
déclaré dans le célèbre sonnet Correspondances.
Les formes de la nature sont les symboles multiples d'une même
réalité; sous leur diversité, les initiés, les poètes, retrouvent une unité profonde, mystérieuse et impalpable.
Baudelaire n'a pas fourni lui-même de très nombreux exemples de ces correspondances; mais il a indiqué une
direction; et les poètes symbolistes, qui procéderont constamment à des transpositions de cette sorte, se
souviendront de ses suggestions.
LA MÉTRIQUE
Baudelaire est un rigoureux technicien du vers : la richesse de la rime, la plénitude des accents, la valeur des
effets sonores, concourent à créer une impression générale d'intensité poétique.
Il pratique volontiers l'alexandrin,
qu'il manie souvent avec une maîtrise classique et qu'il disloque parfois avec un prosaïsme volontaire.
Il agence
des quatrains en vers de douze ou de huit pieds; il se plaît à la forme du sonnet; plus rarement, pour rendre des
impressions subtiles, il compose des strophes d'une structure complexe, suggérant par le dessin rythmique le
charme lointain d'un pays de rêve (L'Invitation au voyage) ou la forme et l'allure d'un vaisseau :
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large,
Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.
(Le Beau Navire).
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