L'auteur d'un ouvrage consacré au drame cite l'affirmation catégorique de Baudelaire : « Qui dit romantisme dit art moderne» et ajoute que «les termes dans lesquels [celui-ci] définit la modernité — intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l'infini — rappellent les plus secrètes intentions du drame romantique». Dans quelle mesure l'ensemble de ces propos vous paraît-il refléter la brève aventure de cette dramaturgie nouvelle ?
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L'auteur d'un ouvrage consacré au drame cite l'affirmation catégorique de Baudelaire : « Qui dit romantisme dit art
moderne» et ajoute que «les termes dans lesquels [celui-ci] définit la modernité — intimité, spiritualité, couleur,
aspiration vers l'infini — rappellent les plus secrètes intentions du drame romantique».
Dans quelle mesure l'ensemble
de ces propos vous paraît-il refléter la brève aventure de cette dramaturgie nouvelle ?
Introduction
Le 25 Février 1830, le scandale bat son plein au «théâtre français» : le rideau se lève sur la représentation
d'Hernani.
Trois ans plus tôt, Victor Hugo avait déjà créé l'événement en publiant la fameuse préface de Cromwell, manifeste
d'un art nouveau.
En Mars 1843, il connaît l'échec avec Les Burgraves qui sonne le glas du «drame romantique».
Pour comprendre la nouveauté de cette expérience théâtrale, on peut partir de la célèbre formule baudelairienne : «
Qui dit romantisme dit art moderne» c'est-à-dire «intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l'infini», termes qui
caractérisent certains aspects du héros romantique.
Mais l'on verra que si une telle formulation rend sans doute
compte de certaines «intentions» du drame romantique, elle ne suffit pas pour en cerner le caractère provocateur
et peut-être profondément libérateur.
Première idée directrice : les hommes jeunes qui sont les promoteurs du «drame romantique»
revendiquent la nouveauté de leur entreprise théâtrale.
I.
La rupture avec le classicisme
Leur premier souci est de rompre avec le système classique en se libérant de ses contraintes.
Guerre d'abord aux
fameuses «unités» de temps et de lieu.
« L'action, lit-on dans la préface de Cromwell, encadrée de force dans les
vingt-quatre heures, est aussi ridicule qu'encadrée dans le vestibule».
Ainsi l'action dans Ruy Blas se développe-telle sur près d'un an.
Si elle se déroule tout entière à Madrid, les trois premiers actes se passent dans des pièces
différentes du palais royal, les deux suivants, dans « une petite chambre somptueuse et sombre ».
Que dire de la
variété des décors dans Lorenzaccio !
Seule est conservée, par nécessité, l'unité d'action.
Encore s'agit-il plutôt de «l'unité d'ensemble» dit Victor Hugo.
Car la «simplicité d'action» chère aux classiques est constamment mise en cause : Lorenzaccio est la meilleure
illustration de cette « unité d'ensemble » compensant la complexité de l'action.
Rejet aussi des bienséances : on assiste au retour des dagues et des épées sur la scène.
Lorenzaccio feint à l'acte
I de s'évanouir à la vue d'une épée nue, quand il est provoquée en duel, s'exerce au maniement de cette arme à
l'acte III et assassine sous nos yeux le duc de Florence, à l'acte IV.
Quant à l'alexandrin qui caractérise si nettement le théâtre classique, il est banni de la scène par Stendhal dès 1823
dans son Racine et Shakespeare.
Dumas écrit en prose Henri III et sa cour et Antony, comme Musset, Lorenzaccio,
ou Vigny, Chatterton.
Mais Hugo, lui, se déclare partisan d'«un vers [...] osant tout dire sans pruderie, tout exprimer
sans recherche, [...] sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa monotonie d'alexandrin » ; car il
est pour lui « comme une des digues les plus puissantes contre l'irruption du commun».
Il est fidèle également à la
rime, «cette esclave reine» et définit ainsi sa propre versification dramatique, telle qu'elle apparaît notamment dans
Hernani ou Ruy Blas.
II.
Le goût de la couleur
Certes la nouveauté de ce théâtre se marque aussi par le goût de la « couleur » chère à Baudelaire, qui lui, pensait
bien sûr à Delacroix plus qu'à Hugo.
Mais l'on sait combien ce dernier attache d'importance à la « couleur locale » ;
non pas celle qui consiste à « ajouter après coup quelques touches criardes ça et là sur un ensemble du reste
parfaitement faux et conventionnel», mais cette « couleur des temps » qui doit se trouver « dans le cœur même de
l'œuvre [...], y être dans l'air, de façon qu'on ne s'aperçoive qu'en y entrant et qu'en en sortant qu'on a changé de
siècle et d'atmosphère» : celle de la décadence espagnole dans Ruy Bios, ou des complots florentins reconstitués
par Musset.
III.
Mise en scène du héros romantique
Il est vrai enfin que le drame met en scène certains aspects du héros romantique.
A la scène 3 de l'acte I, Ruy Blas
se révèle un être intimement passionné quand il explique à Don César pourquoi sa livrée de domestique lui importe
peu :
«Car j'ai dans ma poitrine une hydre aux dents de flamme
Qui me serre le cœur dans ses replis ardents.
Le dehors te fait peur ? Si tu voyais dedans ! »
La pièce tout entière n'est que le développement de cette passion sans frein jusqu'à ses ultimes et tragiques
conséquences.
Isolé par ses passions, incompris, haï même des autres hommes, trop épris d'absolu il ne peut vivre
dans ce monde où tout bonheur lui est impossible, comme il l'exprime dans le monologue par lequel commence l'acte.
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