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L'aventure est-elle encore possible dans le monde d'aujourd'hui ?

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« Introduction Quand on voit avec quelle facilité et quelle rapidité on peut se rendre aujourd'hui aux quatre coins de la Terre, et même, sans se déplacer, apprendre tout aussi aisément comment vivent les Aborigènes d'Australie ou les peuples du grand nord sibérien, on est en droit de se demander si l'homme moderne peut encore connaître les plaisirs de l'aventure.

Mais la véritable aventure ne serait-elle pas, de nos jours plus qu'hier, ailleurs qu'à bord d'un engin parcourant des terres inconnues ? Développement «Hic sunt leones » — ici il y a des lions — pouvait-on lire jadis sur les anciennes cartes, là où les géographes laissaient des taches blanches correspondant aux terres que l'homme n'avait pas encore foulées.

Ces figures emblématiques de l'inconnu ont toutes disparues.

Les arpenteurs, les géomètres et les cartographes ont pris la terre entière dans le réseau de leurs mesures, de leurs traits et contours; et, satellites aidant, la planète a perdu toute zone de mystère.

Les chemins de ceux qui prétendent encore tenter quelque exploration sont balisés.

Assurément le temps n'est plus des Marco-Polo, des Laurence d'Arabie, des Alexandra David-Neel. Quant à l'aventure spatiale, elle est tellement liée à la science et dépendante de la technologie la plus sophistiquée qu'on en oublie facilement l'aspect humain, même quand l'homme marche pour la première fois sur la Lune. Enfin l'information sature notre curiosité.

Certes on admire les magnifiques photos que nous fait parvenir Jean-Louis Étienne rôdant près des falaises glacées de l'Antarctique.

Mais elles sont très vite recouvertes dans notre mémoire et dans notre imagination par les non moins étonnantes vues du Kilimandjaro que nous permet de contempler l'équipe de Nicolas Hulot.

Pas une semaine ne se passe sans que nous ayons eu la possibilité de connaître, par l'image et le son, quelque grand raid effectué de par le monde. Mais nous pouvons apercevoir peut-être dans ce phénomène contemporain la véritable origine de cette sensation de ne plus pouvoir vivre l'aventure.

La cause, et le remède aussi.

Sur une terre désormais connue, il faut d'une part, lutter contre les effets néfastes de l'accoutumance, et, d'autre part, se défier des images qui, d'outils précieux d'information qu'elles sont, peuvent devenir, par un usage abusif, autant d'écrans entre nous et la réalité ! I .a possibilité d'aventure ne dépend pas des distances parcourues ni même de la rareté des spectacles.

Elle demeure dans notre tête : savons- nous faire naître, entretenir, comme on le dit d'un feu, voire réveiller — et cela semble souvent nécessaire aujourd'hui — notre capacité de curiosité ? La curiosité, prise en bonne part, est cette tendance qui nous porte à apprendre, à connaître des choses nouvelles, sans nous satisfaire de ce que nous savons déjà, ou croyons savoir, moins encore de notre ignorance.

C'est, l'étymologie latine nous le fait comprendre, ce «souci», ce «soin» de ce qui est différent de nous, de nos façons d'être, de nos modes de pensée. À la curiosité se trouve donc associée l'aptitude à accueillir la nouveauté ! L'une et l'autre déterminent le regard que nous portons sur autrui ou sur l'ailleurs.

Ou bien nous nous contentons, par paresse mentale, de vivre sur des clichés ; ou bien nous acceptons de remettre en cause à tout moment notre perception des êtres et des choses, même les plus familiers, et nous pouvons alors découvrir en eux un relief passionnant.

Les ethnologues contemporains, à partir de l'enseignement de Marcel Mauss ont bien compris que la réalité la plus proche et la plus quotidienne pouvait être source d'étonnement.

Mais après tout n'est-ce pas une leçon que l'on pouvait déjà tirer de la lecture des romanciers dits « réalistes » du siècle dernier ? Leurs aventures fictives n'ont en elles-mêmes rien d'exceptionnel le plus souvent.

C'est le regard de Flaubert sur la vie, exprimé par son écriture, qui rend Emma Bovary intéressante.

Dans un autre contexte littéraire, pensons à Céline quand, dans Voyage au bout de la nuit, il nous donne à voir, et à entendre surtout, le remue-ménage des banlieusards de « Rancy» partant au travail; ou bien au poète Francis Ponge qui, dans Le Parti pris des choses, nous fait découvrir «les plaisirs de la porte». Conclusion L'aventure n'est pas — en tout cas ne peut plus être — dans l'objet de la quête; elle est dans le regard et dans l'esprit de celui qui l'entreprend.

Ce qui suppose que l'on favorise à tout moment, pour lutter contre la propension au confort médiocre des idées toutes faites, l'éducation de la curiosité, du goût de la différence, de notre capacité à poser un regard étonné sur les êtres et les choses qui nous entourent.

C'est à ce prix que l'aventure est non seulement encore possible aujourd'hui, mais qu'elle peut et doit le demeurer pour satisfaire un besoin de l'âme.. »

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