LE GÉNIE DE BALZAC

A Le visionnaire Des familiers de Balzac l'ont considéré avant tout comme un visionnaire • « Il vivait dans une hallucination perpétuelle », a écrit Philarète Chasles. Balzac lui-même se flattait de posséder un « don de seconde vue ». Sa peinture de la société ne peut être dissociée des intuitions qui illustrent sa conception de l'univers ou des rapports idéaux entre les hommes LA VISION MÉTAPHYSIQUE ET RELIGIEUSE Balzac n'a jamais renoncé entièrement aux hypothèses métaphysiques de sa jeunesse. Il croit que tous les phénomènes se ramènent à l'action d'une substance unique, d'un fluide éthéré, qui, chez l'homme, prend la forme de la Pensée : les idées enfantées par le cerveau sont des êtres véritables, qui se meuvent dans l'univers. A la lumière de cette audacieuse théorie, il justifie la télépathie et le magnétisme, car il admet que des esprits vigoureux puissent projeter leur pensée et agir à distance sur des esprits plus faibles. Il a longtemps rêvé de conquérir ce pouvoir prestigieux et d'accéder ainsi à la toute-puissance : une semblable ambition lui apparaît légitime, au moins dans son principe, puisqu'elle repose sur une discipline méthodique du génie humain. De bonne heure, pourtant, Balzac incline à penser que l'homme ne peut pénétrer par ses seules forces les secrets de l'univers. Il interroge alors les doctrines illuministes, se fait initier au martinisme, puis se passionne pour l'oeuvre de Swedenborg. Par la bouche de l'ange Séraphita, il dénonce l'insuffisance des méthodes positivistes : « Vos sciences les plus exactes, vos méditations les plus hardies, vos plus belles clartés sont des nuées. Au-dessus est le sanctuaire d'où jaillit la vraie lumière. » Il s'imagine d'ailleurs que ses rêves mystiques peuvent se concilier avec l'authentique tradition chrétienne : « Aujourd'hui comme au temps du docteur Sigier, il s'agit de donner à l'homme des ailes pour pénétrer dans le sanctuaire où Dieu se cache à nos regards. » (Les Proscrits.)