Le Roman américain de 1945 à 1965
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Le Roman américain de 1945 à 1965
Dessiner le profil littéraire des vingt années d'après-guerre, aux États-Unis, n'est pas facile : il manque le recul.
Des
écrivains apparus au cours de la première décennie, et en qui l'on pouvait avoir le plus confiance, ont déçu.
En
revanche, des talents que l'on croyait mineurs, se sont affirmés ; les hasards du succès et de la vie ont joué, des
phénomènes nouveaux sont apparus : c'est en 1975 que les personnalités d'un Saul Bellow, d'un Salinger, d'un
Truman Capote auront pris leurs vraies dimensions.
Mais puisqu'il faut introduire un ordre, même arbitraire, dans la
matière complexe qui nous occupe, on peut diviser la période de 1945 à 1965 en deux qui correspondent à peu près
aux deux décennies : celle qui précède et celle qui suit la guerre de Corée.
Cette guerre, la première qui se soit
soldée par un échec américain, diplomatique et militaire (s'il n'y a pas eu défaite, il n'y a pas eu non plus victoire), a
joué un rôle très important sur le développement de la sensibilité du pays et la mentalité de ses habitants.
Elle a
engendré un sentiment d'échec et de culpabilité, une inquiétude toujours prête à se développer dans une civilisation
basée sur la réussite matérielle, et dont l'âme est pétrie de la notion de péché originel.
Les conséquences en ont
été un nationalisme agressif qui s'est traduit par le maccarthysme et la " chasse aux sorcières " et, à l'opposé, une
mise en question des valeurs fondamentales, une désaffection de " l'american way of life ", une révolte pouvant aller
jusqu'au désespoir.
Ces dernières tendances se sont traduites dans le mouvement de la " beat generation " et sa
poésie, comme dans l'apparition d'un nouveau type de héros romanesque, s'opposant trait pour trait à celui né de la
civilisation des pionniers et de l'idéal anglo-saxon.
Le début de la première décennie a vu paraître un grand nombre de romans de guerre, où les jeunes combattants,
retour d'Europe et du Pacifique, versaient une expérience toute fraîche.
Ils pouvaient difficilement échapper à
l'influence de leurs aînés de la " génération perdue ", qui avaient eux-mêmes raconté, dans des oeuvres magistrales,
une expérience analogue.
On vit donc les Alfred Hayes, les John Horne Burns (mort trop tôt), les Irwin Shaw, refaire
du Hemingway et du Dos Passos.
Mais les modèles étaient inimitables.
Que reste-t-il aujourd'hui de cette copieuse
littérature de guerre ? Quelques oeuvres, dont l'une des plus fortes demeure Les Nus et les Morts de Norman Mailer,
écrivain dont les romans postérieurs ont été décevants et qui s'est composé un personnage d'Alcibiade new-yorkais,
comme seule la vie littéraire européenne en connaissait jusqu'à présent.
L'après-guerre de 1945 comme celle de 1918, a connu un mouvement d'émigration des écrivains et des artistes
américains vers l'Europe.
Rien de comparable, toutefois, entre les séjours dorés des jeunes romanciers, à Paris et à
Rome la plupart des écrivains qui comptent ont connu une expérience de ce genre, et notamment ceux groupés
autour de la " Paris-Review " : Styron, Philip Roth, George Plimpton, Matthiessen, Donald Windham et bien d'autreset les années difficiles de leurs aînés avant et pendant la dépression.
L'écrivain américain a cessé d'être un paria.
La
société capitaliste du profit (amendée, il est vrai, par l'expérience Roosevelt) lui donne sa place ; elle lui offre des
bourses de séjour à l'étranger, des sinécures dans les universités, des contrats mirifiques à Hollywood : comment ne
serait-il pas sensible à ces avantages ? La réconciliation de l'écrivain américain avec son pays est le grand
phénomène nouveau, survenu vers les années 50.
Elle a entraîné plusieurs conséquences dont la naissance d'une "
vie littéraire " inconnue jusqu'alors, avec ses coteries, ses réceptions mondaines, ses intrigues, ses succès
artificiels, calquée sur la vie littéraire parisienne.
Ancien pionnier, chasseur, débardeur, matelot, ouvrier agricole,
manoeuvre, l'écrivain américain est devenu un " homme de lettres ".
Cette évolution sociale s'est accompagnée d'une évolution littéraire, préparée par une école comme celle de la "
nouvelle critique " et l'enseignement des poètes-professeurs, presque tous venus du Sud, groupés avant la guerre
autour de la " Sewanee-Review " : John Crown Ransom, Alan Tate, Robert Penn Warren, celui-ci non seulement
poète, mais l'un des plus féconds et des plus remarquables romanciers actuels.
L'accent a été mis sur les valeurs
formelles et métaphysiques ; les poètes métaphysiciens anglais, Shakespeare, Melville remis à l'honneur ; Faulkner,
négligé jusqu'alors par la critique, mis à sa vraie place, la première.
A ce même courant se rattache le renouveau de
Henry James, tenu pour l'un des maîtres du roman moderne.
Toutes ces influences ont donné naissance à quelquesunes des oeuvres les plus intéressantes et les plus fortes des années 60.
Outre les grands romans de Penn Warren,
il faut citer ceux de William Styron, ceux de Buckner, moins inspirés et d'un formalisme un peu scolaire.
L'importance accordée à la forme, c'est aussi ce qui caractérise des écrivains groupés autour du magazine " New
Yorker ", qui publie leurs nouvelles.
Les recherches de style vont si loin que l'on peut parler de préciosité et de
sophistication.
Nabokov est assurément celui de ces écrivains qui met les ressources d'une rhétorique brillante au
service de la plus large expérience.
Salinger, dont L'Attrape-Coeur, devenu un classique, donnait les plus grands
espoirs, a déçu par ses nouvelles ultérieures ; John Updike aussi commençait à affirmer son talent.
Ces écrivains triomphent dans la nouvelle, au même titre que plusieurs écrivains nés dans le Sud, qu'unissent un
même sens païen de la nature, une même sensibilité poétique, un même goût de l'étrange et du bizarre, une même
hantise de la sexualité.
Carson McCullers est apparue la première ; Flannery O'Connor a pris sa relève et l'on trouve
chez elle, comme chez Truman Capote, William Goyen, ou chez Tennessee Williams, plus connu comme auteur de
théâtre, le goût de l'aberrant et le retour à certains thèmes du romantisme américain, de Poe et de Hawthorne.
Il y a plus de générosité et de vigueur chez les oeuvres d'écrivains que l'on peut rattacher au néoréalisme, bien que
celui-ci se distingue profondément du réalisme des Dreiser et des James T.
Farrell, par le souci d'écriture qu'il
manifeste.
Plusieurs d'entre eux appartiennent à des familles juives venues de Pologne ou de Russie au tournant du
siècle, et ils décrivent un milieu original où les traditions sont demeurées fortes, qui se conçoit comme une minorité.
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