Le roman européen
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Il y a cent ans, le roman était loin d'être mort ou même en sommeil ; mais on notait le dépassement du roman en direction de l'épopée. Pour ne citer que quelques noms parmi les plus illustres, l'Italie avait Italo Svevo, l'Angleterre Virginia Woolf et ce Conrad qu'elle partage avec la Pologne, l'Allemagne Thomas Mann, enfin la France Bernanos. Entre ces divers écrivains européens il y avait peu de choses en commun, du moins à première vue, sinon leur ambiguïté, leur vision symbolique, leur sens de la durée et peut-être une certaine nostalgie des choses qui périssent... On ne peut enfermer le roman dans une formule exclusive : il contient tous les genres, du poème à l'essai, du drame à la biographie.
Héritier de la grande tradition du roman russe celle de Gogol, de Dostoïevski, de Tourgueniev, de Tchekhov, de Gorki voici qu'apparaît, à l'autre extrémité du continent européen, le puissant, le tendre Bernanos, romancier catholique, chrétien comme Péguy, mais venu de la droite, et pour qui la vérité se trouve dans le regard de la sainteté. Quel peut être le commun dénominateur entre l'auteur du Journal d'un Curé de Campagne et le révolutionnaire Gorki ? Eh bien, cet écrivain si fier d'être Français semble être paradoxalement, on l'a souligné, " de tous nos écrivains celui qui est le plus proche des romanciers russes, notamment par la place qu'il accorde dans son oeuvre à l'illogisme ". Et les héros de Bernanos, en proie au vertige, paraissant avoir goûté l'enfer, connaissant l'épreuve des ténèbres et du désespoir, ne semblent-ils pas déjà se profiler chez Gogol ? Ne trouve-t-on pas chez les grands écrivains russes du XIXe siècle la première vision de cette humanité sur qui brille et brûle le sinistre " soleil de Satan " et qui nous annonce, longtemps à l'avance, ce cadavre en voie de décomposition que sera M. Ouine ? Un autre trait, bien différent, rapproche Georges Bernanos de Dostoïevski et de Tolstoï : son discernement des âmes et son insatiable soif de justice. Ses personnages sont rongés par un mal intérieur. Il ne fait qu'un avec ses livres. Comme Dostoïevski, c'est un écrivain pour qui " l'imaginaire n'est qu'un médium ", a-t-on dit, et " ses colères partent d'un foyer de charité " ; il a l'esprit d'enfance, mais il vit sous le signe de l'agonie. Dostoïevski exercera d'ailleurs son influence marquante sur tous les écrivains du XXe siècle : il est le précurseur d'une vision nouvelle de l'homme, imprévisible et polymorphe.
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