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Le Roman français

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Le roman n'existe que s'il existe des romanciers. L'auteur de Francion ne se prend pas pour un romancier. Celui de Gargantua non plus. Ni Mme de La Fayette, ni Marivaux, ni Rousseau. Il ne suffit pas de raconter une histoire, se déroulant dans le temps et l'espace, mettant en scène des personnages auxquels l'auteur prétend nous intéresser, pour qu'il y ait roman. Comme l'ode au XVIe siècle, la tragédie au XVIIe le drame au début du XIXe le genre romanesque naît au moment où les meilleurs écrivains le choisissent comme mode d'expression, lui donnent des règles, une forme, un contenu propres, l'investissent de leurs problèmes et des problèmes de leur époque. La conjonction s'est opérée avec Balzac, Stendhal, Flaubert, Dickens, Dostoïevski, Tolstoï. Quelques dizaines d'années plus tard, le roman a triomphé des autres genres et il est déjà en crise. Rimbaud, Verlaine, Laforgue, Mallarmé expriment mieux les exigences de la littérature et les besoins de leur temps que les épigones de Flaubert, les suiveurs de Zola. Le genre s'est figé dans une formule et des procédés, avec les champions du roman "bourgeois", "psychologique", régionaliste, exotique. Même Barrès (avec La Colline inspirée), même Anatole France (avec Le Lys rouge) ne font qu'emplir un cadre de plus en plus étroit, de plus en plus artificiel. Les auteurs qui, au même moment, vont compter, les jeunes Gide, Claudel, Valéry dénoncent le roman comme le lieu de toutes les facilités et complaisances, lui dénient une valeur artistique. Selon une phrase qu'il n'a peut-être jamais prononcée, Valéry refuse de faire "sortir la marquise à cinq heures", et Gide ferme à Marcel Proust les portes de la Nouvelle Revue Française.

« Le Roman français Le roman n'existe que s'il existe des romanciers.

L'auteur de Francion ne se prend pas pour un romancier.

Celui de Gargantua non plus.

Ni Mme de La Fayette, ni Marivaux, ni Rousseau.

Il ne suffit pas de raconter une histoire, se déroulant dans le temps et l'espace, mettant en scène des personnages auxquels l'auteur prétend nous intéresser, pour qu'il y ait roman.

Comme l'ode au XVIe siècle, la tragédie au XVIIe le drame au début du XIXe le genre romanesque naît au moment où les meilleurs écrivains le choisissent comme mode d'expression, lui donnent des règles, une forme, un contenu propres, l'investissent de leurs problèmes et des problèmes de leur époque.

La conjonction s'est opérée avec Balzac, Stendhal, Flaubert, Dickens, Dostoïevski, Tolstoï. Quelques dizaines d'années plus tard, le roman a triomphé des autres genres et il est déjà en crise.

Rimbaud, Verlaine, Laforgue, Mallarmé expriment mieux les exigences de la littérature et les besoins de leur temps que les épigones de Flaubert, les suiveurs de Zola.

Le genre s'est figé dans une formule et des procédés, avec les champions du roman "bourgeois", "psychologique", régionaliste, exotique.

Même Barrès (avec La Colline inspirée), même Anatole France (avec Le Lys rouge) ne font qu'emplir un cadre de plus en plus étroit, de plus en plus artificiel. Les auteurs qui, au même moment, vont compter, les jeunes Gide, Claudel, Valéry dénoncent le roman comme le lieu de toutes les facilités et complaisances, lui dénient une valeur artistique.

Selon une phrase qu'il n'a peut-être jamais prononcée, Valéry refuse de faire "sortir la marquise à cinq heures", et Gide ferme à Marcel Proust les portes de la Nouvelle Revue Française. Pourtant, c'est avec Proust, que le roman, en France, reprend sa course, se gonfle d'un contenu nouveau, redevient ce qu'il était pour Balzac : une création, ce qu'il était pour Flaubert : une oeuvre d'art.

Proust rompt avec les prétentions "scientifiques" de ses prédécesseurs immédiats.

Il ne se veut pas plus historien que sociologue, pas plus psychologue que biologiste.

Il abandonne la fiche, le fait divers, le document, l'inventaire..

Il ne croit pas à une représentation "objective" du monde.

Il ne croit pas que la première tâche du romancier consiste à montrer et décrire. Il pense, au contraire, que le monde, l'écrivain, l'oeuvre sont liés entre eux par des rapports complexes et subtils, en perpétuelle évolution à l'intérieur même du produit auquel ils concourent.

Il les tient sous son regard et cherche à en éprouver la réalité à la fois évidente et fuyante.

Il quitte l'anonymat du narrateur, sa prétendue toute-puissance, son complaisant ubiquisme, pour entrer en personne dans une combinaison dont les éléments sont indissociables. L'oeuvre, selon l'angle qu'elle présente, invite à porter le regard au-delà des limites qu'elle semble proposer.

Plus qu'une représentation du monde, elle est, de ce monde, un "analogue" : avec ses lois, son espace, sa durée, ses astres et ses abîmes, l'air particulier qu'on y respire.

Il s'échafaude à mesure que l'auteur en dispose les éléments, y fait circuler un courant de vie.

Il l'accompagne dans sa marche exploratoire.

C'est sur son lit de mort que Proust met un point final à son oeuvre.

Elle a été consubstantielle à son existence. L'influence de Proust sur ses contemporains immédiats est nulle.

Ils ont rompu, eux aussi, avec la tradition réaliste ou naturaliste sans en abandonner les procédés.

Ils peignent, comme Mauriac, ou Duhamel, des milieux.

Ils s'intéressent, comme Giraudoux, Montherlant, Colette, à des "âmes" particulières dans des situations singulières.

Ils restreignent le cadre pour labourer en profondeur, colorent de leur forte personnalité les histoires qu'ils racontent. Ils n'innovent point.

Il faut attendre les années 30 pour qu'avec Malraux, Céline, Giono, Bernanos le roman devienne l'expression privilégiée de préoccupations diverses : morales, religieuses, philosophiques, en temps que la traduction, sur le plan du discours, des interrogations auxquelles se trouve confrontée une société en crise.

Le souci artistique passe au second plan. La guerre, l'occupation, la résistance, le phénomène "concentrationnaire" vident le roman de la part de fiction qu'il contenait encore.

Toute invention paraît dérisoire auprès de la réalité vécue.

Il s'agit de la dire, simplement, exactement.

Le récit, le témoignage, la confidence, même lorsqu'ils utilisent les procédés d'exposition ou de narration du roman, affichent pour raison d'être la vérité, l'authenticité, l'expérience éprouvée.

Montrer des soucis d'art (hors ceux qui sont strictement soumis à l'objet, et qu'on pourrait appeler "fonctionnels") équivaudrait à "faire de la littérature". Déjà, dans La Nausée, dans L'Étranger, il s'agissait moins pour Sartre et Camus de faire "oeuvre d'art" ou "créatrice" que d'exposer, avec toutes les ressources du genre romanesque, une conception, ou une vision, du monde.

Il faut une anecdote, et des personnages.

Ils servent de supports, voire d'illustrations, à ce que l'auteur veut traduire d'une réalité intime, sentie ou pensée, qui lui paraît essentielle.

Le monde dans ses apparences a cessé d'exister : il n'est qu'un faux-semblant, un ensemble plus ou moins bien ajusté de "phénomènes" qu'il serait futile d'inventorier si n'en étaient mises à nu les racines, si n'en étaient repérés les moteurs cachés.

Et comme le monde ne serait rien sans les rapports que nous nouons avec lui, c'est à l'étage où s'établit ce contact que le romancier se porte.

Étage de la conscience : comprendre plutôt que subir, ou subir dans la lucidité.

Étage des instincts primordiaux, des pulsions essentielles, de la communication viscérale : la vie, la mort, les passions éprouvées en tant que déterminations de l'espèce.

Là où plus rien ne semble aller de soi, où le monde et l'homme sont autre chose que ce qu'ils laissent voir d'eux-mêmes, naît le désir frénétique de pousser plus avant l'exploration, d'approfondir la quête, comme si, à la fin des fins, on devait tomber sur la réalité dernière, illuminante.

On aboutit, en fait, à substituer aux. »

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