Le roman moderne, écrit André MALRAUX, est à mes yeux un moyen d'expression privilégié du tragique de l'homme, non une élucidation de l'individu. Commentez cette définition et montrez qu'elle convient exactement à la Condition humaine.
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Le roman moderne, écrit André MALRAUX, est à mes yeux un moyen d\'expression privilégié du tragique
de l\'homme, non une élucidation de l\'individu.
Commentez cette définition et montrez qu\'elle convient
exactement à la Condition humaine.
Comprendre Malraux
Comme la plupart des affirmations de ce genre, celle-ci gagne à être illustrée.
A qui s'attaque l'écrivain ? Il a
évidemment des noms sur les lèvres : quels sont les romanciers qui se sont donné pour tâche l'élucidation de
l'individu, sinon les auteurs de romans d'analyse ? Ce type de roman étudie au microscope les sentiments des
personnages, leurs passions.
Il est dans la tradition de MONTAIGNE ou de LA BRUYÈRE.
On pense à la Princesse de
Clèves, aux Liaisons dangereuses, à Adolphe, à Dominique.
STENDHAL et BALZAC eux-mêmes ne seraient-ils pas
rattachés à ce groupe ?
MALRAUX pouvait avoir en tête aussi des contemporains : RADIGUET, GIDE, etc.
Ce dernier surtout pouvait
constituer une cible de choix.
« Le roman moderne » ne doit plus s'attarder à ces minutieuses descriptions d'un
avare (Eugénie Grandet), d'un jaloux (Zaïde, de Mm e DE LA FAYETTE),
d'un amoureux (Dominique), d'un Gide, etc.
Pourquoi? Sans doute pour deux raisons :
a) Les grandes passions ont été terriblement vendangées, comme l'avait dit HUYSMANS dès 1884 (préface d'A
rebours).
Après STENDHAL et BALZAC, il ne resterait plus qu'un misérable grappillage.
Notons que, pourtant, des
romanciers continueront à se tenir dans le sillage de BALZAC; ils s'efforceront de circonscrire dans le champ des
sentiments humains quelques lopins à peu près en friche (François MAURIAC, Genitrix, la Pharisienne, etc.; Julien
GREEN, Adrienne Mesurat...).
b) L'époque n'est plus à de telles descriptions.
Quand le monde subit une inquiétante mutation, quand des millions
d'hommes meurent, quand les religions et les valeurs sont battues en brèche, quand l'humanité se retrouve seule
dans sa nuit, va-t-on détailler pendant trois cents pages les accès de jalousie et autres jeux de deux petits jeunes
gens qui s'en vont pleurer sous les saules? Dérisoire! semble dire MALRAUX.
Dans notre civilisation sans
transcendance, tout homme maintenant est seul et attend la mort.
Sûr d'être vaincu, il est en pleine tragédie.
Voilà
ce que l'artiste d'aujourd'hui doit exprimer.
Solitude! Peur! Mort! Que faire de cette vie?
MALRAUX annonce ici le théâtre d'Ionesco et de BECKETT.
Lecture : S.
BECKETT, En attendant Godot.
Roman ou tragédie?
Une objection se présente à l'esprit : le tragique fut longtemps célébré dans un genre particulier, la tragédie.
Pourquoi MALRAUX, qui le sait bien, choisit-il le roman? Parce que la tragédie a pu paraître jusqu'à ces dernières
années un genre défunt.
Avant IoNEsco et BECKETT, le théâtre semblait, depuis un demi-siècle, devenu incapable
d'exprimer la pure tragédie de l'homme.
Songeons d'ailleurs que la tragédie n'a connu que de brèves floraisons
localisées :
Introduction
Le roman est un genre littéraire capable de toutes les métamorphoses.
Ce « Protée » avait déjà pris bien des formes
différentes (roman de chevalerie, roman picaresque, roman précieux, etc.) quand Mme DE LA FAYETTE publia le
premier chef-d'œuvre du roman d'analyse, la Princesse de Clèves.
Une éclatante lignée de romanciers allait s'illustrer
dans cette voie : MARIVAUX, LACLOS, CONSTANT, BALZAC, STENDHAL, FROMENTIN, etc.
Tant de richesse explique
que dès la fin du XIXe siècle ait commencé une « crise » : les grandes passions humaines avaient été si
minutieusement « vendangées » qu'on ne voyait plus guère quoi grappiller.
On comprend donc qu'A.
MALRAUX,
spectateur des soubresauts du XXe siècle, ait pu écrire : Le roman moderne est à mes yeux un moyen
d'expression privilégié du tragique de l'homme, non une élucidation de l'individu.
Un tel jugement est de grande portée et il impressionne d'autant plus que cette conception a produit, entre autres
réussites, la Condition humaine, le plus beau, semble-t-il, des romans de MALRAUX.
I.
Portée générale de l'affirmation
Refus de l'élucidation de l'individu.
Rejet de l'analyse minutieuse des passions (littérature mondaine, du xvIIe à Stendhal, etc.).
Refus du roman-journal intime : Adolphe...
Malraux porte un jugement d'ensemble : il n'ignore évidemment pas qu'il existe dans certains de ces romans des
échappées tragiques : ainsi la Princesse de Clèves illustre la question de l'Hamlet de SHAKESPEARE : Pourquoi
l'amour non payé de retour? et le prince est une admirable figure tragique.
Le roman, moyen privilégié d'expression du tragique..
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