Le romantisme a été la grande révolution littéraire moderne. On a parlé souvent de réactions contre le romantisme. On a donné ce nom à des mouvements comme le Parnasse, le réalisme, le naturalisme, le symbolisme, le néo-classicisme. Mais il ne serait pas difficile de montrer qu'ils sont bien plutôt des décompositions ou des transformations du romantisme. Commentez ce jugement ?
Extrait du document
«
Introduction.
Une vue classique des manuels consiste à montrer le romantisme envahissant la scène littéraire dans les années
1815 à 1830, disparaissant comme école, mais se continuant comme tendance jusqu'en 1843, date de l'échec des
Burgraves.
Le grand succès de Lucrèce, tragédie « classique » de Ponsard, en 1843, les débuts de Leconte de Lisle
vers 1845 semblent amorcer une réaction qui ne s'interrompra plus jusqu'à nos jours.
Traiter une œuvre de
romantique sera dorénavant une qualification plutôt péjorative, comme si précisément on voulait souligner son
caractère démodé, suranné.
Or certains critiques, prenant les choses d'une vue plus large, estiment que le
romantisme a introduit dans nos lettres des valeurs dont celles-ci n'arriveront jamais à se débarrasser vraiment : un
Thibaudet pense par exemple que le romantisme est un mal si profond dans notre littérature moderne qu'il n'est plus
possible de l'extirper, car le détruire ce serait détruire la littérature; à son avis, en effet, le romantisme « a été la
grande révolution littéraire moderne ».
un peu comme la Révolution française, même si ses principes ont été depuis
très violemment combattus, reste la grande coupure de notre histoire et marque le début des temps modernes.
De
même, en littérature « on a parlé souvent de réactions contre le romantisme.
On a donné ce nom à des mouvements
comme le Parnasse, le réalisme, le naturalisme, le symbolisme, le néo-classicisme.
Mais il ne serait pas difficile de
montrer qu'ils sont bien plutôt des décompositions ou des transformations du romantisme ».
Ainsi Thibaudet ne nie
pas une apparente rupture, il reconnaît le paradoxe de sa position; d'ailleurs il ne prétend pas que le romantisme a
survécu, il parle de « décomposition » (d'une survivance en « pièces détachées », si l'on peut dire), certains
éléments même ont été transformés : on pourra se demander notamment s'ils n'ont pas été purifiés et si le rôle de
certaines écoles ne sera pas de reprendre telle ou telle notion romantique pour l'amener à un degré d'élaboration
supérieur.
Mais surtout Thibaudet, nous invitant à dominer un peu la question, nous suggère que le romantisme est
plus qu'une école parmi d'autres, qu'il est avant tout une grande tendance artistique.
I.
Le paradoxe de Thibaudet ou l'apparente rupture.
(Pour la clarté de l'exposé, il peut être bon de commencer par rappeler les principaux éléments de cette apparente
réaction contre le romantisme, dont Thibaudet conteste précisément l'existence profonde.)
1.
Le romantisme avait abusé des effusions personnelles, abus dénoncé non seulement par le Parnasse, mais encore
par Baudelaire (c'est ce qu'il appelle « l'hérésie de la passion » dans son article sur Th.
Gautier) et aussi par les
premiers symbolistes (voir les attaques de Rimbaud contre les romantiques « qui prouvent si bien que la chanson est
si peu souvent l'œuvre, c'est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur.
Car Je est un autre »).
2.
Cette propension à l'effusion personnelle devient volontiers un tour d'esprit, un goût littéraire pour le vague, le
nébuleux, l'imprécis.
Là encore, réaction énergique de la seconde moitié du siècle.
Au flou romantique, on oppose la
rigueur scientifique, la volonté de ferme précision des écoles parnassienne, réaliste, naturaliste, néo-classique.
Maurras notamment et Pierre Lasserre s'en prennent avec une extrême âpreté à ce mal romantique de vouloir sentir
plutôt que comprendre.
Julien Benda reprend très méthodiquement cette critique dans ses œuvres polémiques.
3.
C'est surtout en politique que la généreuse nébulosité de ce qu'on appelle le romantisme « quarante-huitard » est
le plus vivement condamnée par la réaction des diverses écoles ultérieures.
Parnasse et réalisme se détournent
avec violence de toute politique et, quand le naturalisme d'un Zola revient aux préoccupations sociales, c'est avec
la volonté d'y appliquer une rigueur scientifique très différente du messianisme du romantisme.
4.
Sur le plan proprement littéraire, c'est la forme des romantiques qui aura à subir les plus vives critiques.
On la
considérera à la fois comme relâchée et comme oratoire, elle tombera sous le double reproche d'imprécision et de
rhétorique.
Ce reproche de Valéry : « Les romantiques avaient négligé tout ou presque tout ce qui demande à la
pensée une attention et une suite un peu pénibles », complétera l'attaque de Verlaine : « Prends l'éloquence et
tords-lui son cou.
» Ainsi mode de pensée, méthode de travail, but poursuivi, tout semble opposer le romantisme à
la vive réaction qui a suivi.
II.
La décomposition ou la survivance a en pièces détachées ».
Pourtant, de cet ensemble un peu incohérent qu'on appelle le romantisme, quelques principes se détachent pour
traverser tout le xixe siècle et arriver jusqu'à nos jours.
1.
Le culte de l'humanité.
Le caractère nébuleux que nous dénoncions tout à l'heure n'est pas le propre de tout le
romantisme, mais surtout du premier romantisme, celui des premières Méditations, celui des artistes qui gravitaient
autour du Salon de l'Arsenal vers 1824-25.
Très vite les romantiques quittent cette phase lyrique, et, suivant une
courbe que Thibaudet considère comme caractéristique de la grande poésie et des grands poètes, s'orientent vers
des genres plus larges, plus humains et se mettent à rêver de cette épopée de l'humanité qui ne cessera de hanter
tout le xixe siècle.
Ecrire le grand poème de l'homme, telle sera l'ambition du Lamartine de Jocelyn ou de La Chute
d'un Ange, du Hugo de La Légende des Siècles et, d'une façon plus fragmentaire, du Vigny des Poèmes antiques et
modernes.
Mais cette ambition, les écoles suivantes en héritent curieusement : Leconte de Lisle veut tracer
l'épopée religieuse de l'humanité, *f Heredia dispose ses Trophées en une sorte d'œuvre cyclique qui, de la Grèce à
l'Orient et de l'épopée homérique jusqu'à nos jours, veut dresser à sa manière l'inventaire du mouvement humain.
De
même, dans le roman, un Zola prétend faire l'histoire «'d'une famille sous le second Empire » et de nos jours les
vastes « romans-fleuves » d'un Jules Romains, d'un Roger Martin du Gard, d'un Duhamel, d'un Aragon ne sont-ils pas
le prolongement de cette ambition romantique?
2.
Le progrès de la science.
L'humanité ainsi embrassée progresse et, notons-le bien, progresse par la science.
Sans
doute, dira-t-on, c'est là l'idéal consigné par un Renan ou un Taine, exploité romanesquement par un Zola, idéal qui,
dès avant la fin du xixe siècle, a connu une éclatante faillite.
En fait, c'est d'abord une idée romantique et, si le
romantisme n'a pas encore une conception bien précise de ces progrès par la science, il en pose néanmoins le.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Les écrivains français ont toujours eu le goût des écoles. Toujours ils ont aimé à se regrouper autour d'un terme abstrait: classicisme, romantisme, réalisme, naturalisme, symbolisme, existentialisme. A la vérité, les frontières de ces concepts sont confuses. Les grands écrivains ne sont jamais les prisonniers d'une doctrine, même lorsqu'ils en sont les parrains. Leur puissance de création fait éclater les cadres. Vous commenterez ces lignes d'André Maurois ?
- Commentez cette phrase de Théophile Gautier : « Chateaubriand a restauré la cathédrale gothique, rouvert la grande nature fermée et inventé la mélancolie moderne. » ?
- Commentez ce jugement de Théodore de Banville sur Beaudelaire: Il a accepté tout l'homme moderne avec ses défaillances, avec sa grâce maladive, avec ses aspirations impuissantes ?
- Un lecteur écrit à un magazine littéraire pour témoigner de son goût pour les formes classiques de la poésie (poésie en vers fixes du XVIe au XIXe siècle). Une semaine plus tard, un autre lecteur lui répond dans le même magazine, pour défendre et montrer son goût de la poésie moderne et contemporaine (vers libres, poèmes en prose, etc.). Rédigez ces deux lettres. Vous pourrez, si vous le voulez, inverser l'ordre des deux lettres.
- Que pensez-vous de ce jugement porté en 1859 par Baudelaire sur le réalisme : « Dans ces derniers temps nous avons entendu dire de mille manières différentes : « Copiez la nature; ne copiez que la nature. Il n'y a « pas de plus grande jouissance ni de plus beau triomphe « qu'une copie excellente de la nature. » Et cette doctrine, ennemie de l'art, prétendait être appliquée non seulement à la peinture, mais à tous les arts, même au roman, même à la poésie. A ces doctrinaires si satisfai