Le Rouge et le Noir: : « En quoi plaider coupable constitue-t-il un réquisitoire contre la société de classes ? »
Publié le 25/04/2023
Extrait du document
«
Séance 3 : Le procès
Problématique : « En quoi plaider coupable constitue-t-il un réquisitoire
contre la société de classes ? »
Objectif :
- Interpréter l’issue d’un parcours initiatique.
- Identifier le héros.
Introduction :
Henri Beyle (1783-1842), admirateur de Napoléon et détestant la
Restauration et la Monarchie, est un romancier français à la fois
romantique et réaliste (M) plus connu sous le pseudonyme de Stendhal
dont la paronomase qui le lie au mot « scandale » nous éclaire quant à la
volonté de l’auteur de dire « la vérité, l’âpre vérité » sur la société de son
époque au risque de choquer en faisant tomber les masques.
Ce nom
s’inspire, également, de celui d’une ville d’Allemagne, « Stendal », près de
laquelle vécut l’auteur.
Le pseudonyme permet surtout d’agir et de parler
librement.
« Le Rouge et le Noir », roman (G) publié en 1830, met en scène un
héros, Julien Sorel, ambitieux, rêvant de devenir Bonaparte dont il
conserve le portrait, à une époque, la Restauration, où un fils de
charpentier ne saurait espérer gravir les échelons de la société.
Il hait ses
contemporains.
C’est avec un immense souci de réalisme psychologique
que Stendhal s’appliquera à décrire les sentiments amoureux en même
temps qu’il s’attachera à rendre compte de l’actualité même si le terme
« réalisme » n’est pas encore d’usage en 1830.
Cependant, les passions
des personnages principaux et leur tragiques destinées caractérisent des
aspirations romantiques tout comme le souhait de peindre une époque
dans une fiction romanesque ainsi que la mise en exergue du mal de vivre
romantique, le mal du siècle, fruit des illusions perdues.
Le réalisme
stendhalien est donc moderne et son romantisme modéré car pour lui, la
littérature romantique ne s’oppose pas à la description de la réalité même
si chez Stendhal celle-ci correspond plus à des références pertinentes à
l’histoire contemporaine qu’au souci du détail de la description.
C’est
surtout la volonté de restituer la perception de la réalité à travers le
regard des personnages qui diminue la présence des descriptions.
Pour l’écriture de son roman, Stendhal s’inspira de deux affaires : l’affaire
Antoine Berthet, fils d’un maréchal-ferrant, ayant du goût pour les études,
protégé par un curé, qui entra au séminaire puis qui eut la charge
d’instruire les enfants Michoud.
Il fut renvoyé de chez les Michoud et
continua d’envoyer des lettres de menace à Madame.
Renvoyé du grand
séminaire, il fut placé chez un clerc de notaire et tira sur sa maîtresse
dans une église, et l’affaire Lafargue au cours de laquelle un jeune
ébéniste tua sa maîtresse.
Stendhal ne crée pas totalement son
personnage mais s’inspire de faits divers comme il était courant de le faire
à l’époque.
Julien incarne une jeunesse désillusionnée qui croyait aux avancées de la
Révolution et qui se retrouve sous la coupe des Bourbon après avoir cru
en Napoléon.
Son parcours relève de l’initiation ce qui caractérise le
roman de formation.
Chaque étape de son ascension, de son milieu
d’origine à la société bourgeoise de Verrière, puis à l’univers d’intrigues du
séminaire de Besançon ou chez les aristocrates parisiens ambitieux et
souvent méprisants, met en lumière une société fermée, hypocrite et
divisée en échelons.
Il fera face à plus roublard que lui et mettra l’amour
au service de son ambition, de son amour-propre et de son désir
d’ascension sociale.
Il devra donc jouer un rôle et devenir stratège.
Dans cet extrait, livre second, chapitre 41, la fin est proche, celle du
roman mais aussi celle du personnage.
En effet, tout indique que le
discours de Julien le conduira à une inévitable condamnation, il se
condamne à mort.
Après avoir tiré sur Madame de Rênal dans l’église de
Verrières, épisode très rapidement narré au chapitre 35, faisant l’objet
d’une ellipse, Julien est arrêté et transféré à la prison de Besançon, là où il
connut un autre enfermement symbolique, le séminaire.
Seulement, ici, il
semble y trouver un espace de calme et d’apaisement.
Son crime semble
être la conséquence directe de la lettre que Madame de Rênal envoya au
Marquis de La Mole, qu’elle écrivit sous la dictée de son confesseur et qui
est une véritable menace qui pèse sur le mariage de Julien avec Mathilde.
Dans celle-ci, elle dessine le portait d’un Julien hypocrite, ambitieux et
séducteur.
Emprisonné, il reçoit la visite de Mathilde et de son ami
Fouqué.
Julien contrevient à sa position initiale et prend la parole pour
défendre son honneur, plaider coupable mais aussi pour prononcer un
véritable réquisitoire contre les bourgeois et la société de classes en
même temps qu’il dénonce un procès injuste (T2).
Les registres se
mêlent.
La satire, l’ironie et le pathétique sont toujours présents mais ils
côtoient des envolées lyriques lorsqu’il sera question de la victime ainsi
que la démonstration argumentative et polémique quand il s’agira de faire
le procès de la société (R).
La narration relate, de façon organisée car
argumentative, le chemin initiatique parcouru depuis l’arrivée de Julien
chez les Rênal et donc l’apprentissage du jeune homme(T1).
Derrière les
mots de Julien, Stendhal prend en charge le propos et met en lumière et
critique une société qui perpétue la hiérarchie des classes sociales et qui
ne pardonne à ceux qui tentent de s’extraire de la fange pour s’élever
(B).
Problématique + annonce des mouvements :
« Messieurs les jurés…Messieurs les jurés » : Lorsque « l’idée » du devoir
s’impose à lui, Julien prend la parole tout en plaidant coupable pour le
crime qu’il a commis.
« Quand je serais moins coupable…appelle la société » : Puis, il plaidera
non coupable lorsqu’il évoquera l’accusation implicite qui se cache derrière
ce procès.
« Voilà mon crime…bourgeois indignés : Les raisons pour lesquelles ce
procès est injuste.
Ou
« Messieurs
les
jurés…bassesse
de
sa
fortune » :
Plaider
coupable/pauvreté => révolte.
« Je ne vous demande…Messieurs les jurés » : héros renverse plaidoyer
=> réquisitoire.
« Quand je serais…bourgeois indignés » : Injustice du procès et de la
société.
Analyse linéaire
Le choix du discours direct, en même temps qu’il restitue la vivacité du
propos, théâtralise la scène.
L’extrait devient donc un monologue.
On
pourrait considérer et imaginer que le discours que Julien s’apprête à
prononcer devant les jurés correspond à une plaidoirie dans laquelle il va
présenter sa défense.
L’apostrophe « Messieurs les jurés » l.1 est une adresse polie à son
auditoire qui souligne le fait que le héros maîtrise les codes oratoires de la
plaidoirie.
L’expression est solennelle mais elle va rapidement céder sa
place à une justification surprenante.
En effet, lorsque Julien justifie cette
prise de parole, il se positionne en héros fier et blessé par le regard d’une
classe à laquelle il n’appartient pas.
Le discours va-t-il réellement être une
plaidoirie ?
Le regard des autres n’aura jamais cessé de motiver ses actions et, ici,
ses propos.
Il va donc s’appliquer à répondre à « L’horreur du mépris » l.2
qu’il lit depuis le début de l’œuvre dans les yeux des bourgeois et des
aristocrates.
Il affirmera, alors, ses valeurs morales par opposition à celle
des riches qui ne relèvent que de leur chance d’être nés dans la bonne
classe sociale.
L’allitération en « r » « L’horreur du mépris … la parole »
l.2 et 3 souligne qu’en réalité, ce sont ses juges qui méritent le mépris.
La reprise en anaphore de l’adresse « Messieurs » l.3 revêt une tonalité
plus moqueuse que respectueuse.
Les jurés sont, en effet, des bourgeois
dont Valenod redoutable et malhonnête.
Le modalisateur « Je croyais » l.2 exprime la remise en cause de la
décision que Julien avait prise au préalable.
Il revient sur celle-ci par
devoir et l’indignation devient une obligation.
On peut dès lors se
demander si son discours n’engagera que son cas individuel ou si celui-ci
sera dépassé pour mettre en scène le procès d’une classe sociale.
Le mépris qu’il éprouve à l’encontre de ses juges transparaît dans la
tournure ironique « l’honneur d’appartenir à votre classe » l.4.
Le mot
« honneur » qui est normalement un substantif mélioratif et élogieux,
prend, ici, les couleurs du blâme et de la moquerie.
Il souligne ainsi que
l’appartenance à une classe n’est pas un « honneur ».
Le paradoxe qui
oppose le « mépris » des uns et le courage de l’autre, Julien, par le biais
de l’utilisation du verbe « braver » l.2 le positionne en héros stoïque et
tragique acceptant son sort, telle une fatalité, seul face à la société
représentée par les jurés.
Cependant, il renonce à cet héroïsme d’acceptation et de résignation parce
que son devoir le dépasse et est bien plus important que lui.
On peut
noter qu’il évoque sa « mort » l.3 avec une grande lucidité comme si
l’issue fatale était certaine (prolepse).
Soit Julien sait que tout est déjà
joué et on revient, alors, à la notion de fatalité et de la toute-puissance de
la bourgeoisie et de l’aristocratie, soit Julien fait une référence implicite au
contenu de son discours qui va le condamner....
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