Le théâtre est-il l'expression du paroxysme ?
Extrait du document
«
Le théâtre a épousé au cours des siècles plusieurs fonctions.
D'une fête en hommage à Dionysos à une visée
instructive prônée, en passant par le pur divertissement des bourgeois du XIXème siècle, il semble difficile de
s'accorder sur un unique intérêt à conférer au théâtre.
L'absurdité de l'homme mise en perspective par les
innommables et imprescriptibles atrocités du XXème siècle ont participé de la naissance d'un genre théâtral où
l'incompréhensible du quotidien devient malléable, lui offrant une nouvelle forme dans laquelle il s'agit de « Pousser
tout au paroxysme, là où sont les sources du tragique.
Faire un théâtre de la violence (…) Eviter la psychologie, ou
plutôt lui donner une dimension métaphysique.
Le théâtre est dans l'exagération extrême des sentiments,
exagération qui disloque la plate réalité quotidienne » comme le donne avec finesse et précision le dramaturge
contemporain Eugène Ionesco.
Il s'agirait là de faire opérer aux hommes cette catharsis –recherchée depuis
l'Antiquité- à travers une désintégration du réel qui permettrait par la réflexion d'ensuite mieux le ré-intégrer.
Notre
travail va donc consister à observer si cet usage du paroxysme pour purger et purifier l'homme peut être donné
comme primant sur toutes les autres réalisations théâtrales adoptant cet objectif, en tendant dans un premier
temps d'analyser l'efficacité dramatique de ce qui ne correspond justement par à la conception de Ionesco.
Par la
suite, nous étudierons les formes et effets du théâtre de la dislocation.
Enfin, nous nous interrogerons sur la
possibilité d'une catharsis, en nous demandant si la mise au devant de soi du vide ontologique peut réellement être
bénéfique aux hommes.
*
*
*
La conception classique et courante du théâtre le donne comme miroir du réel.
Ainsi, il se devrait de l'imiter
afin de permettre aux hommes une identification, cette dernière apparaissant à la fois comme purificatrice et
didactique et donc, de deux manières différentes, cathartique.
Dès l'Antiquité, le théâtre était donné comme devant viser la vraisemblance (et non la correspondance
parfaite au réel : « Le vrai peut quelque fois n'être pas vraisemblable » disait Boileau) suivant la pratique de la
mimesis.
« Puisque le poète imite tout comme le peintre ou tout autre faiseur d'images, il doit par nécessite
toujours imiter une de ces situations qui sont au nombre de trois : soit les choses qui ont existé ou existent, soit
les choses qu'on dit ou qui semblent exister, soit les choses qui doivent exister » (Poétique, XXV).
Ainsi, les
hommes peuvent s'identifier à l'action qui se joue sous leurs yeux, et ressentir crainte et pitié, facteurs permettant
la catharsis, une purification par le spectacle.
De là, le fait de voir dans la pièce de Sophocle, Œdipe Roi, le héros
commettre l'inceste et tuer Laïos, son père, puis se crever les yeux et s'exiler à Colonne ; par les sentiments
partagée de frayeur et compassion nous ôte ces pulsions et instincts sexuels qui, nous le savons depuis Freud,
peuvent également nous habiter.
.../...
POINT DE CULTURE GENERALE : Œdipe, c'est le héros maudit par essence.
Promis à un destin fatal par l'oracle,
telle la Belle au bois dormant à qui une sorcière jette un mauvais sort, l'enfant est retiré à ses parents Laïos, roi de
Thèbes, et Jocaste, pour être élevé loin du foyer familial.
Bien sûr, en dépit de toutes les précautions, comme pour
la princesse du conte, la prédiction se réalise, et sans le savoir Œdipe tue réellement son père biologique et épouse
sa mère.
Comprenant sa méprise des années plus tard, alors que la peste dévaste son royaume, et horrifié de son
parricide et de son inceste, le roi se crève les yeux et se bannit du monde.
À ce malheur, s'en est ajouté un autre
beaucoup plus tard puisque le pauvre homme a vu la psychanalyse donner son nom à un complexe, dont l'humanité
entière souffrirait.
C'est dire à quel point la culpabilité doit peser sur ses épaules.
Mais n'est-ce pas un peu trop réducteur de ne penser à Œdipe qu'en termes freudiens ? C'est oublier en effet la
détermination de cet homme qui a voulu échapper à une mauvaise fortune édictée par des instances supérieures.
C'est oublier l'équité dont ce roi fait preuve dans sa vie et dans l'exercice de ses fonctions.
En effet, c'est au nom
de la justice qu'il cherche le meurtrier de Laïos, sans savoir encore que ce dernier est son vrai père.
Et c'est au
cours de cette enquête qu'il découvre donc toute la vérité à son sujet.
D'une certaine façon, Œdipe, c'est à la fois
le premier flic ou détective de l'histoire mais c'est aussi le premier héros à faire une introspection.
On en revient à
l'analyse, mais au sens littéraire, car c'est le propre de tout grand personnage : être à la fin du livre différent de
celui qu'on a connu au début.
Et c'est aussi la signature des mythes : donner naissance à un symbole, ici celui d'un homme qui a été trompé, qui
s'est trompé, mais qui reprend en main son destin (car s'il se punit, il ne se suicide pas) pour l'assumer avec
courage..
»
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