Léopold Sédar Senghor
Extrait du document
«
Introduction
Léopold Sédar Senghor reprend une longue tradition poétique qui lie la nature et la femme.
Mais le lecteur sent fort bien qu'il ne s'agit pas,
dans ce poème, d'une simple convention littéraire.
La symbiose est totale.
La force de la nature africaine, la sensualité, le lyrisme, tout
concourt à faire de ce texte un bel hymne à la négritude.
Il sera possible d'étudier la correspondance avec le continent et l'éloge vibrant de
l'amour.
Développement
Le plan de la première partie sera plus succinct que celui de la seconde.
En effet, la comparaison de la femme et de la nature fait, par la
suite, l'objet d'une rédaction complète.
• Première partie : la femme et la nature
La correspondance est évidente.
A l'intérieur de cette partie, on peut classer les remarques par thèmes : la lumière, la force, la fragilité, etc.
Il est possible aussi de les répartir en tenant compte des procédés d'écriture.
Les éléments se répondent par analogie, mais aussi par
contraste.
C'est cette seconde organisation qui a été retenue.
— La correspondance par analogie Elle se manifeste tout d'abord par la nudité.
Ensuite, de nombreux éléments rappellent la nature africaine
: gazelle et savane.
Ici, l'on traite ce qui appartient spécifiquement à l'Afrique.
La similitude n'est pas déterminée géographiquement : « fruit » et « soleil » encore que ce dernier puisse caractériser le continent noir.
— Une correspondance par contraste
On insiste surtout sur l'ombre et la lumière, le calme et le tourment.
Toutefois, les thèmes ne se combattent pas, l'impression est plutôt celle de la complémentarité.
• Deuxième partie : l'éloge de l'amour
— La mort, la vie
Toutes deux ne sont que les facettes de l'amour.
En effet, la vie anime tout le texte par l'intermédiaire de la sensualité.
Ainsi «savane qui
frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est».
Il faut noter, à propos de cette phrase, la confusion entre l'Amour de la femme et celui de la
nature.
En outre, «ferventes» exprime bien une ardeur, mais aussi un aspect quasi religieux.
Rien de dégradant dans ces plaisirs parce qu'ils
sont le triomphe de la vie.
La mort, présente à la fin de la première strophe, n'a rien de désespéré.
L'amour «foudroie», m ort d'autant plus violente qu'elle touche «en
plein cœur».
Rien de la sensualité morbide de Baudelaire; on penserait plutôt à l'extase de sainte Thérèse par Le Bernin.
A la fin du texte, la
notion du temps qui passe ou plutôt de la beauté éphémère introduirait comme une nostalgie.
L'image du feu, pur, de la foudre qui ne laisse pas de traces fait place aux cendres.
Pourtant, le poème se termine à nouveau sur l'espoir
puisque cette disparition servira à « nourrir les racines de la vie ».
Que ce soit dans les airs, avec «l'éclair de l'aigle» ou sous terre, avec «les
racines», la vie triomphe toujours.
Même le destin jaloux de la beauté, comme les dieux grecs le sont aussi des hommes, se plie au
mouvement universel.
— L'amour ferment de l'inspiration poétique
Là encore, Senghor renouvelle un thème traditionnel : «bouche qui fais lyrique ma bouche».
La neutralité du verbe «faire» accentue la valeur
de l'adjectif, la phrase s'encadre par les deux mêmes mots qui s'appellent.
Le lyrisme imprègne tout le texte marqué par une vaste
incantation.
La disposition «femme nue, fem me noire», «femme nue, femme obscure » est construite en chiasme.
A chaque strophe le
thème est posé et les images, souvent longue suite d'appositions, se succèdent comme autant d'illuminations.
Le rôle du poète est assigné : «forme que je fixe dans l'Eternel».
La polysémie de «fixe» laisse une ambiguïté : s'agit-il d'une
contemplation, d'un regard fasciné sur cette beauté céleste ou d'une forme que l'auteur rend fixe.
A l'appui de la première hypothèse, la
foudre qui s'abat.
A l'appui de la seconde, le vocabulaire conquérant : vainqueur, athlète, les princes du Mali et, surtout, le caractère en
apparence éphémère de la beauté.
Le poème donne à la femme tous les traits de l'éternité : la plus grande généralisation est atteinte grâce à l'absence de déterminant : «
Femme nue.
» En outre, on note le bref retour au passé «j'ai grandi à ton ombre»; le texte chante l'amour mais aussi toutes les femmes qui
ont élevé, protégé l'écrivain.
La sensualité devient idéale : «le chant spirituel de l'Aimée».
Car le poème réussit à mêler la réalité la plus
physique à la forme la plus mythique.
Comme la Vénus de Milo, perfection grecque, la Femme noire, perfection africaine, atteint le type
universel de beauté.
Enfin, la louange de la femme n'abaisse pas l'homme, comme le veut une tradition qui part de la courtoisie pour aboutir même aux
surréalistes.
Le poète qui retrouve vie grâce à la femme fait souvent figure d'être faible, d'enfant.
Ici l'auteur revendique la force et la
puissance.
première partie rédigée
Le poème établit des analogies très étroites entre la femme et la nature.
Chaque strophe commence par «Femme nue».
Mais cette nudité
n'est pas exempte de noblesse, de dignité.
L'apposition «vêtue de ta couleur qui est vie» allie la culture et la nature, simplement «le
vêtement» ne renvoie pas à une appartenance sociale, il ne sert pas à voiler, il est «vie».
Le corps ressemble à un tam-tam sculpté : la
nature est œuvre d'art.
Certains points de comparaison rappellent immédiatement l'Afrique : « savane, gazelle ».
Toutes deux évoquent les vastes espaces, la
course, la légèreté.
Les allitérations en s et z chantent la douceur.
Les attaches font penser au délié de l'animal, et l'adjectif «célestes»
ajoute la perfection à la finesse, à la délicatesse.
Il introduit aussi l'image de la déesse dont les dieux seront jaloux.
Si la similitude avec le
fruit et le soleil peut être soulignée sous d'autres cieux, il est évident que les indications de l'Été, de Midi, tout le vocabulaire de la brûlure
font penser au climat africain.
De même que le paroxysme de la chaleur est atteint, de même le fruit mûr suggère l'épanouissement
triomphant (à la chair ferme).
Si le texte offre des correspondances directes, il joue aussi sur les contraires.
L'ombre et la lumière dominent.
Les adjectifs «noirs, obscure,
sombre» reviennent à plusieurs reprises.
On notera l'interprétation double de l'adjectif «obscure» : acception physique mais aussi figurée :
mystérieux.
Comme nous l'avons dit à propos de la nudité, ce secret ne provient pas d'un être qui se voile, se cache, se dérobe, mais de sa
trop grande richesse.
Liée à la nature, la femme est aussi inépuisable qu'elle.
La lumière est également présente avec, par exemple, l'homophonie de «l'éclair» et de «éclaire».
Et surtout, le soleil parcourt tout le texte.
Il
se métamorphose en feu qui calcine, en foudre, et même en «or rouge».
Les deux éléments se valorisent : l'ombre rend plus claire sa lumière et la lum ière rend plus sombre l'ombre.
Ainsi la peau combine «la nuit»
et «l'or».
Cependant, ici, rien de mitigé, les contrastes ne s'annulent pas, l'été fait aimer la nuit et «les soleils prochains» appellent «les
étoiles» astres du soir.
Dans une même phrase se heurtent les termes :
«A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse.» L'inversion du sujet met le verbe en évidence.
Rien de terne ici : le noir a l'éclat de la
moire.
De même, la terre calcinée engendre une Terre promise avec ses fruits, sa richesse.
Le vin enivre et le texte mêle l'exaltation amoureuse à
l'apaisement.
Dans une nature tourmentée par le Vent, par la chaleur,, par la passion, la femme apparaît comme «Huile que ne ride nul
souffle, huile calme».
Outre le calme, cette phrase suggère la jeunesse que n'affecte nulle marque, aucune cicatrice.
De ces deux états naît
une certaine gravité perceptible dans la voix de contralto qui répond au tam-tam.
Les formes contrastées ne s'agressent pas.
Grâce à la
confrontation des éléments antagonistes, elles gagnent en intensité.
Par sa beauté formelle, «Femme noire» se dessine sous nos yeux et
prend une valeur de symbole.
Comme certaines œuvres plastiques, elle atteint au classicisme.
Elle surgit des mots et se confond avec la
nature dans ce que celle-ci a de plus noble : l'Été, le Midi, la Terre, le Vent, mais aussi parce que le Vainqueur et l'Aimée sont la proie de
l'Éternel et du Destin..
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