LES MANIFESTATIONS DU ROMANTISME
Extrait du document
«
Il n'y a pas eu, à proprement parler, une école romantique, mais des foyers d'amitié, où des poètes, des prosateurs, des peintres, des
sculpteurs, ont associé leurs efforts et lutté en commun pour l'abolition de contraintes surannées.
Une fois leur objectif atteint, ces
jeunes hommes se sont séparés pour jouir, chacun de leur côté, de l'indépendance ainsi conquise.
L'ÉQUIPE DE LA MUSE FRANÇAISE (1823-1824).
La Muse française est un périodique né en 1823 sous l'impulsion d'Émile Deschamps.
Chaque numéro contient,
outre une rubrique des moeurs orientée vers la défense des idées monarchistes et chrétiennes, des pages de vers,
où figurent des poèmes de Victor Hugo, d'Alfred de Vigny, de Marceline Desbordes-Valmore, et des pages critiques,
où l'on exalte Byron, Walter Scott, Shakespeare.
Les rédacteurs de La Muse française proclament la nécessité d'un
renouvellement de l'art, mais ils sont hostiles aux outrances.
Émile Deschamps donne bien le ton de la revue,
lorsqu'il écrit : « Il n'y a plus de gloire possible que dans les genres où n'ont point brillé nos poètes classiques.
On
doit s'écarter de leur chemin, autant par respect que par prudence, et certes ce n'est point en cherchant à les
imiter qu'on parviendra jamais à les égaler.
»
LE SALON DE L'ARSENAL (1824-1830).
En 1824, Charles Nodier, nommé bibliothécaire de l'Arsenal, prend l'habitude de réunir ses amis dans son salon,
tous les dimanches soirs.
Mme Nodier et sa fille Marie accueillent les visiteurs; la conversation, puis le jeu et la
danse vont leur train.
A ces réunions se rencontrent des écrivains, des critiques, des artistes de toutes tendances.
Les principaux familiers du salon sont Victor Hugo, Émile Deschamps, Alfred de Vigny, Lamartine lors de ses
passages à Paris; un peu plus tard, Mérimée, Alexandre Dumas, Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Honoré de
Balzac, les peintres Delacroix et Boulanger, le sculpteur David d'Angers, le graveur Devéria.
Au cours de ces
échanges, des points de vue se précisent, des perspectives se dessinent; mais aucune doctrine d'ensemble ne se
dégage.
LES CAMPAGNES DU GLOBE (1824-1830)
A l'éclectisme de l'Arsenal s'oppose le dogmatisme du journal Le Globe, qui, fondé par Paul Dubois en septembre
1824, contribue par ses enquêtes et par ses campagnes à donner au mouvement une claire conscience de ses fins.
Au Globe collaborent des écrivains encore inconnus, mais destinés à un avenir brillant, comme Sainte-Beuve,
Stendhal et Mérimée.
De jeunes journalistes à l'esprit lucide, Duvergier de Hauranne, Charles de Rémusat, Ludovic
Vitet, dénoncent la tyrannie des règles ou revendiquent « l'indépendance en matière de goût ».
D'autres
contribuent à élargir l'horizon littéraire, comme Jean-Jacques Ampère, qui, en 1828, révèle au public français les
contes d'Hoffmann.
Tous ces critiques, épris de cohérence, sont à la fois novateurs en littérature et libéraux en
politique.
LA CONSTITUTION DU CÉNACLE (1827-1828)
En 1827, Victor Hugo publie pour son drame Cromwell une retentissante préface, qui l'impose comme un chef
incontestable aux yeux de tous les novateurs; il s'est converti d'autre part au libéralisme et rapproché du Globe.
Avec Sainte-Beuve, qui est devenu son ami, il fonde un « cénacle », dont les réunions se tiennent dans son
appartement, rue Notre-Dame-des-Champs.
Autour de Hugo se groupent presque tous les écrivains les plus
brillants de sa génération : Alfred de Vigny, Alfred de Musset, Théophile Gautier, Prosper Mérimée, Gérard de
Nerval, Alexandre Dumas, Honoré de Balzac, ainsi que de nombreux artistes.
Désormais, on va à l'Arsenal pour se
divertir; mais, rue Notre-Dame-des-Champs, on se prépare à la lutte.
L'ACTIVITÉ DU CÉNACLE (1828-1830)
Au Cénacle, lectures et discussions ardentes se multiplient.
Hugo saisit toutes les occasions pour formuler avec
éclat ses principes.
En 1829, dans la préface des Orientales, il s'écrie : « L'art n'a que faire des lisières, des
menottes, des bâillons; il vous dit : va! et vous lâche dans le grand jardin de poésie où il n'y a pas de fruit défendu.
» En 183o, dans une Lettre aux éditeurs des poésies de M.
Dovalle, puis dans la préface d'Hernani, il définit le
romantisme comme « le libéralisme en littérature » : « La liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le
double but auquel doivent tendre d'un même pas tous les esprits conséquents et logiques...
La liberté littéraire est
fille de la liberté politique.
Ce principe est celui du siècle...
A peuple nouveau, art nouveau.
Tout en admirant la
littérature de Louis XIV, si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre et personnelle et
nationale, cette France actuelle, cette France du xixe siècle, à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa
puissance.
» Ce libéralisme triomphe : à propos d'Hernani, le Cénacle, au Théâtre-Français, livre et gagne, contre
le formalisme classique, une bataille décisive.
LA DISLOCATION DU CÉNACLE (1830)
Peu de temps après ce triomphe, l'armée romantique se disloque, comme si elle avait perdu toute raison d'être.
Les écrivains qui s'étaient ralliés au panache de Victor Hugo ne se sentent unis entre eux par aucune idée positive
et rompent avec le chef impérieux qu'ils s'étaient donné.
D'autres cercles se constituent et bientôt se défont.
Chez
le sculpteur Jehan Dusseigneur se réunissent, au lendemain de 1830, des poètes chevelus et hirsutes, des artistes
bohèmes, que l'on prend l'habitude d'appeler « bousingos » ou « Jeunes-France »; Théophile Gautier, Gérard de
Nerval, se mêlent volontiers à eux, sans prendre au sérieux leurs outrances.
En 1835, cette jeunesse un peu
assagie fréquente l'Hôtel du Doyenné, près du Louvre, où, dans un cadre élégant, se déroulent des soupers, des
bals, des divertissements, parfois aussi des discussions littéraires ou esthétiques.
Mais presque tous les grands
romantiques demeurent à l'écart de ces réunions et suivent la pente de leur génie individuel..
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