Les oeuvres du passé sont bonnes pour le passé, elles ne sont pas bonnes pour nous. Expliquez ce jugement d'Artaud et discutez-le à partir de vos lectures sans vous limitez au XVIIe siècle ?
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S'élevant contre les œuvres du passé et la fixité d'une pensée « révolue », Antonin Artaud s'élève du même coup, non
seulement contre l'ancienne tradition littéraire mais encore contre l'impact négative que ces œuvres peuvent avoir sur l'écrivain
moderne (et par extension sur le lecteur).
Selon ce théoricien du XXe siècle, la survivance ou plutôt l'imitation du passé est vraisemblablement nuisible à la qualité de
l'œuvre littéraire.
Son jugement soulève différentes questions : que nous apprend l'histoire littéraire sur la vie de l'œuvre ?
L'émergence d'une nouvelle façon de concevoir est-elle inhérente à sa valeur ou est-ce la conséquence d'une époque? Enfin de quels
autres éléments peut-elle encore dépendre ?
Le renouvellement du genre littéraire : moteur de l'écriture d'hier et d'aujourd'hui
Il est nécessaire de souligner dans un premier temps que la formule employée par Antonin Artaud rappelle sensiblement la
Querelle des Classiques et des Modernes.
L'écrivain semble relancer et prolonger ce débat né au terme du XVIIe siècle, qui opposaient
autrefois les Anciens, (menés par Boileau), aux Modernes (représentés par Charles Perrault).
Les premiers soutenaient une conception
très particulière de la création littéraire comme simple imitation des auteurs de l'Antiquité –Racine a par exemple choisi des sujets
antiques anciennement traités par les tragédies grecques pour ses propres pièces, notamment La Thébaïde, Andromaque ou Phèdre–
les seconds quant à eux défendaient le mérite des auteurs contemporains et affirmaient au contraire que la création littéraire devait
être innovante.
Les hostilités furent ainsi déclenchées à la lecture d'un poème de Perrault.
Le dit poème fait l'éloge du XVII e siècle,
époque idéale, et remet en cause le modèle Antique : « La docte Antiquité dans toute sa dureté/ À l'égal de nos jours ne fut point
éclairée ».
(Charles Perrault, Le siècle de Louis le Grand).
Face à un tel débat (peut-être sans fin), il devient légitime de se poser la
question de la valeur que chaque écrivain accorde à l'œuvre selon son époque, selon ses influences…
On ne considérait pas la nouveauté comme étant bonne par le passé.
Or de nos jours, ce type de critère est retenu pour juger
la qualité d'une œuvre.
On porte de l'intérêt à une œuvre parce qu'elle est nouvelle.
De ce fait, et à en croire les différents
mouvements qui vont apparaître tels que le dadaïsme, le surréalisme, l'absurde ou encore le nouveau roman, le XXe siècle est enclin à
préférer l'innovation à la tradition.
Les temps changent et les mentalités évoluent.
Il y a donc eu un grand nombre de prédécesseurs avant Artaud, qui ont manifesté ce besoin d'offrir à l'œuvre un
renouvellement de la forme et du fond.
Dès lors, il est sans doute raisonnable d'affirmer qu'Antonin Artaud se réapproprie, à sa
manière, une pensée déjà établie des siècles plus tôt.
Au XX e siècle l'imitation du passé est considérée comme une faiblesse et non
comme une valeur.
Il est intéressant de s'interroger sur les causes de « la mort et de la transfiguration de la littérature » qui
caractérisent nettement l'époque moderne.
L'œuvre : reflet d'une vision du monde
L'Histoire des modifications est en partie due à un événement marquant, à savoir une rupture celle de la révolution de1789.
Cette date est symboliquement très forte–changement de rythme politique, décapitation du roi, fin de l'Ancien Régime…–la réalité a
donc introduit une nouveauté radicale sur beaucoup de plan.
Les Mémoires d'outre-tombe récit autobiographique et histoire de
Chateaubriand représente cette fracture très concrète.
Une grande partie de sa famille fut décapitée, il vécut donc dès l'âge de trente
ans dans un monde étranger à celui qui l'avait vu naître.
Ainsi à l'image de l'existence de l'écrivain, les changements dans le panorama
littéraire vont être considérables.
En effet il existe probablement un véritable lieu de simultanéité entre les bouleversements artistiques
et politiques.
La guerre est un fait marquant du XX e siècle (la France ne sera en paix qu'en 1962), elle est à la base de cette écriture
moderne–Grande guerre, Guerre d'Espagne, Seconde guerre mondiale, décolonisation–construisent et déconstruisent l'homme
moderne.
La littérature contemporaine est celle de l'angoisse humaine avec l'apparition de doctrines neuves.
L'émergence d'une autre
manière de concevoir exige que l'écriture, pour en rendre compte, se fixe des objectifs nouveaux et que le genre romanesque, en
particulier, dont le triomphe absolu est le fait dominant du XXe siècle, s'adapte aux modifications de la condition des hommes et de son
temps.
« Merdre » le fameux juron du Père Ubu, qui bouscule les convenances théâtrales, est emblématique de la vie littéraire de cette
période, faite de ruptures avec les formes précédentes.
Cette « hénaurme » farce d'Alfred Jarry ouvre le XX e siècle et est déjà
caractéristique de sa future modernité.
Aux vues de ces quelques exemples, il ressort que l'œuvre est avant tout le reflet des bouleversements d'une époque.
Parfois
la notion d'innovation, cette notion de révolution de la forme et du fond exigée par certains écrivains– par exemple André Breton dans
son Manifeste du surréalisme (1924)– est à la fois dépendante d'une volonté consciente et de l'urgence d'une époque où les repères
sont inexistants.
Dans ce cas, les œuvres du passé ne sont pas bonnes, car elles deviennent tout simplement inutiles pour signifier
l'état présent de l'écrivain.
L'innovation ou la nécessaire distinction
Pourquoi s'affranchir du passé si ce n'est pour se distinguer ? La question de l'innovation, ce besoin de renouveau et de
modernité est lié à la question de la distinction, de la singularité de l'œuvre.
Dans une époque où tout le monde ressemble à tout le
monde, l'écrivain cherche à devenir singulier.
Dans son ouvrage À Rebours, Huysmans signifie son refus d'entrer dans l'ère
industrielle, l'âge des masses.
Aller à rebours, c'est aller à rebours de l'âge industrielle pour faire des objets uniques.
Cette question du
renouveau se pose sur le mode de la distinction et par rapport à la production en série, une des caractéristiques de la fin du XIX e
siècle.
À cette question est aussi liée une autre problématique, celle du lieu commun, du stéréotype, (pensée ou expression toute
faite).
Là où vont se multiplier les clichés, les romantiques considéreront paradoxalement que ce qui fait la valeur d'une œuvre c'est
son originalité.
Baudelaire ne définit-il pas la beauté comme « étrange » ? C'est la raison pour laquelle le lieu commun ne peut donner
de la beauté, car il se rencontre partout.
Qui plus est Huysmans espérait désespérément échapper aux lieux communs.
Afin d'y parvenir il a utilisé un certain lexique,
une syntaxe alambiquée ou des mots rares.
C'est ce que l'on nomme l'écriture artiste, une espèce de maniérisme éloigné du naturel,
du déjà dit, de l'entendu.
En résumé une langue unique et rare n'appartenant ni au passé, ni au présent mais à son créateur.
Notons toutefois que les œuvres du passé peuvent être utilisées pour traduire la négation de cet héritage.
La Guerre de Troyes
n'aura pas lieu de Jean Giraudoux s'en inspire pour marquer une rupture évidente avec la tradition (ne serait-ce que du point de vue
de son titre)..
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