L'idée même que la signification d'une oeuvre valable puisse être épuisée après deux ou trois lectures est une idée frivole. Pire que frivole : c'est une idée paresseuse », écrivait Claude-Edmonde Magny en 1950 dans Histoire du roman français depuis 1918. En vous appuyant sur des exemples précis que vous emprunterez à la littérature et, éventuellement, à d'autres formes artistiques, vous montrerez pourquoi certains aspects essentiels d'une oeuvre ne se livrent que peu à peu et comment
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«
L'idée même que la signification d'une oeuvre valable puisse être épuisée après deux ou trois lectures est une idée
frivole.
Pire que frivole : c'est une idée paresseuse », écrivait Claude-Edmonde Magny en 1950 dans Histoire du
roman français depuis 1918.
En vous appuyant sur des exemples précis que vous emprunterez à la littérature et,
éventuellement, à d'autres formes artistiques, vous montrerez pourquoi certains aspects essentiels d'une oeuvre ne
se livrent que peu à peu et comment l'on peut arriver à déceler des qualités qui avaient de prime abord échappé.
Qu'est-ce que la lecture ? Ce terme apparemment simple recouvre des sens et des valeurs multiples.
C'est d'abord le
fait de savoir lire, qui départage les individus en analphabètes et en alphabétisés.
Mais quel usage font ces derniers
de leur savoir ? Quelle est la fréquence d'utilisation de cette faculté ? La lecture, c'est également savoir lire au
deuxième sens du terme : lire avec profit, découvrir les différentes significations d'une oeuvre.
Un ouvrage en effet
est toujours polyphonique, il requiert donc une attention soutenue, une lecture et une ou plusieurs relectures
attentives.
Telle est l'opinion de Claude-Edmonde Magny qui affirme : « L'idée même que la signification d'une
oeuvre valable puisse être épuisée après deux ou trois lectures est une idée frivole.
Pire que frivole : c'est une idée
paresseuse ».
Cette citation fait ressortir combien la notion de temps importe dans la découverte d'une oeuvre de
valeur, temps de lectures (au pluriel), temps d'adaptation à une oeuvre qui est toujours d'avant-garde par rapport à
la mentalité du public.
Pourquoi ne peut-on découvrir instantanément une oeuvre ?
Quelle lecture ou quel regard doit-on avoir vis-à-vis d'elle et enfin peut-on épuiser la signification d'une oeuvre d'art
?
**
Différentes raisons expliquent qu'une oeuvre d'art valable ne se laisse pas découvrir instantanément.
Citons
principalement la difficulté, la richesse et l'avant-gardisme.
La difficulté est la raison la plus évidente.
L'oeuvre se refuse au public pour des motifs intellectuels, elle s'adresse à
une élite capable de consacrer du temps et d'utiliser ses connaissances pour pénétrer le sens de l'oeuvre.
En
littérature, la complexité philosophique, l'agencement des idées, du raisonnement, la nouveauté des concepts
rebutent certains lecteurs.
On lira ainsi plus rapidement Les Lettres persanes que L'Esprit des lois de Montesquieu ou
l'Apologie de Raymond de Sebonde de Montaigne.
Un même auteur peut diversifier sa pensée dans des oeuvres
s'adressant à des publics différents.
Ainsi la pensée philosophique de Sartre s'exprime dans des ouvrages théoriques
comme L'Etre et le Néant et s'illustre dans des genres littéraires plus accessibles.
Des romans comme La Nausée,
des pièces de théâtre comme Huis clos, Les Mouches ou Les Mains sales vulgarisent sans le déformer
l'existentialisme.
Le cinéma facile ou voulant s'adresser à un vaste public (ce qui n'implique pas forcément un
jugement péjoratif) demeure spectaculaire.
Un feuilleton télévisé, comme Holocauste, un film comme Au nom de tous
les miens adapté de l'autobiographie de Martin Gray sont plus directement accessibles que les témoignages recueillis
par Claude Lanzmann et formant l'immense film Shoah ou l'évocation d'Alain Resnais Nuit et Brouillard.
Quand l'oeuvre
s'écarte de notre perception habituelle, elle nous rebute et un temps d'adaptation est nécessaire.
Si les
Impressionnistes firent scandale, leur représentation et leur univers nous sont aujourd'hui aisément accessibles.
Le grand public, en revanche, boude encore certaines audaces du cubisme ou de l'art abstrait.
Il en est de même
pour le style d'un auteur.
On considère que le style naît de la différence par Session de juin 1987
rapport à la communication la plus plate possible d'une information : c'est le célèbre « degré 0 de l'écriture » analysé
par R.
Barthes.
L'originalité de la phase proustienne, l'incohérence revendiquée de Beckett (songeons au discours de
Lucky dans En attendant Godot) ou la prose flamboyante d'Albert Cohen ne laissent pas d'étonner un lecteur peu
prévenu, de lasser un lecteur pressé.
La richesse d'une oeuvre, sa polyphonie obligent également à plusieurs lectures.
Il ne s'agit pas de confondre
richesse et longueur, car le mauvais roman feuilleton existe, mais de parler de « densité ».
Quand longueur et
densité vont de pair comme chez Proust ou Dostoïevski, la difficulté d'analyse est décuplée par la masse
d'informations.
Un chef-d'oeuvre se caractérise par le nombre élevé de ses centres d'intérêt, de ses lignes
directrices.
Il suppose plusieurs niveaux (le terme n'est pas galvaudé ici...) de lecture.
Un roman peut se lire sans
qu'on le trahisse pour son intrigue, ses personnages, sa construction, ses idées et son style.
L'analyse peut
d'ailleurs dissocier ces éléments, inséparables lors de la première lecture et dans la genèse de l'oeuvre.
La richesse
d'un chef-d'oeuvre explique qu'un résumé, un compte rendu ne puissent en donner qu'un pâle reflet.
Le titre d'une
composition musicale ou d'un tableau ne signifie rien non plus : quel décalage entre le tableau Les Demoiselles
d'Avignon de Picasso, manifeste du cubisme, objet de scandale et le titre apparemment anodin ! Tout chef-d'oeuvre
est un labyrinthe d'impressions, de significations.
Il faut voir et revoir Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein pour en
saisir la portée historique, étudier l'esthétique des plans, des prises de vue, le jeu des acteurs, la sonorisation.
Les différentes oeuvres précédemment citées ont toutes pour point commun d'avoir fait scandale ou du moins
d'avoir étonné le public contemporain.
Tout chef-d'oeuvre en effet est en avance sur son époque, il tranche sur la
production habituelle et appartient à l'avant-garde.
La querelle du Cid, la bataille d'Hernani, les procès de Madame
Bovary, des Fleurs du Mal, les scandales des expositions impressionnistes, l'art dit « dégénéré » des expressionnistes
montrent que le véritable artiste est un pionnier qui dérange les habitudes esthétiques du public.
Celui-ci pendant
des siècles a été habitué à voir dans un tableau un sujet, un cadrage, des couleurs cohérentes avec l'objet
représenté, une représentation renvoyant à la réalité et un titre expliquant le tout : comment peut-il réagir devant
les ombres violettes de Gauguin, le nu du Déjeuner sur l'herbe ou les portraits de Picasso ?...
Le roman balzacien, le
théâtre classique ont également conditionné le lecteur qui sera déconcerté par le nouveau roman ou l'anti-théâtre
de Ionesco, par exemple.
L'art évolue sans cesse (quoique cette évolution ne se confonde jamais avec le progrès
contrairement à l'activité scientifique) ce qui oblige le public à s'adapter, à réajuster ses critères d'appréciation et.
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