L'intellectuel Emmanuel Berl écrivait en 1972 (Le Virage):« L'homme a déclaré la guerre à la nature, il la cassera ou la perdra. »
Publié le 03/05/2023
Extrait du document
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L'intellectuel Emmanuel Berl écrivait en 1972 (Le Virage):« L'homme a déclaré la
guerre à la nature, il la cassera ou la perdra.
»
Selon vous, n'est-il pas possible de concilier progrès technique et sauvegarde de
l'environnement?
Proposition de devoir
La prise de conscience des dangers que l'homme fait courir à la nature est un phénomène
très récent et limité à quelques privilégiés.
Il aura fallu un bon siècle d'ère industrielle et trente
années de développement économique accéléré pour que dans quelques pays riches et en
paix, une élite se penche sur la Terre-comme s'il était nécessaire d'être à l'abri de tout pro
blème immédiat, pour s'interroger sur les conditions de l'avenir.
Aujourd'hui le constat est le
suivant : par nécessité, par ignorance, ou dans la perspective de profits rapides, l'homme
moderne a provoqué des dommages considérables dans la nature.
La phrase d'Emmanuel Berl date de 1972.
C'est pratiquement la fin des« trente glorieuses»,
période faste où le monde occidental a considérablement augmenté sa puissance de pro
duction et ses besoins de consommation.
Venant après les secousses idéologiques de mai
1968, les premiers chocs pétroliers font naître des inquiétudes, freinent quelques élans
aveugles et donnent aux pays les plus développés l'occasion de se poser la question: quel
sens donner au progrès ?
Les effets socio-économiques des avancées techniques, généralement jugés positifs, sont
contrebalancés par leurs effets destructeurs : gaspillage des ressources énergétiques non
renouvelables, pollutions massives et durables, destruction de biotopes irremplaçables,
modifications d'équilibres planétaires.
C'est au sujet de ces erreurs souvent irréparables
qu'Emmanuel Berl a tiré la sonnette d'alarme, dans une formule qu'il a voulue frappante.
En
1972, le discours écologique n'était pas commun; il fallait faire passer ces idées nouvelles
avec des images-chocs.
L'auteur a donc eu recours à l'idée d'une guerre, que l'homme pour
rait perdre ou gagner, ce qui reviendrait selon lui à « casser» la nature.
Imaginons que cette guerre soit perdue : l'homme est victime d'innovations incontrôlées-acci
dents nucléaires, armes bactériologiques, mutations génétiques-ou d'une réaction de la natu
re qui pourrait trouver d'elle-même la parade aux surcharges démographiques -épidémies,
bouleversements telluriques...
L'homme disparaît, sinon comme espèce, du moins comme
civilisation, et la nature reprend, souveraine, le cours un moment perturbé de son évolution.
Or il n'y a que deux issues possibles à une guerre: si ce n'est pas l'homme qui perd, c'est la
nature.
Forêts défoliées, vaches folles, moustiques stériles, hirondelles décimées, fleuves
morts, mers irisées de nappes visqueuses...
Plus d'hiver ; les pôles fondent, le Sahara gagne
Toulouse, l'Amazone est un oued, l'Ukraine un erg.
Le résultat d'une défaite de la nature.
Seuls les lichens, les scorpions et les fourmis s'en sortent.
L'homme n'y survit pas dix ans.
Sous cet angle, on entrevoit déjà un paradoxe dans la formule d'E.
Berl: parler de guerre, c'est
admettre que la nature est étrangère à l'homme.
Or, l'h9mme fait partie de la nature.
Son appa
rente autonomie n'enlève rien au fait qu'il dépend d'un tout.
Il ne peut pas entamer cet ensemble
sans s'atteindre lui-même.
S'il y a conflit entre l'homme et la nature, c'est une guerre civile.
Le paradoxe se révèle en entier avec le choix d'un mot:« li la cassera».
Volontairement ou
non, l'auteur parle de l'homme détruisant la nature comme d'un enfant cassant son jouet.
Ce
n'est pas que l'image soit mauvaise, mais elle illustre par la façon de l'exprimer quelle est
l'origine_du problème : même cet intellectuel qui veut défendre la nature en parle comme
d'une chose externe à l'homme, d'un instrument, d'un jouet.
Sa formule reflète, tout en vou
lant la mettre en cause, la conception du monde qui domine la planète depuis cinq siècles.
L'homme occidental s'est toujours cru extérieur, voire supérieur, à la nature.
Dans les
mythes occidentaux sur la création, l'homme procède de Dieu.
Dans les fables indiennes, il
naît d'une fiente de corbeau...
Ces deux genèses ne peuvent pas donner le même point de
vue sur l'ordre des choses ! La pensée occidentale ayant dominé le monde, elle a répandu
l'idée que la nature est au service de l'homme.
Elle a laissé croire que les ressources étaient
inépuisables, les climats immuables, les baleines innombrables, les renards nuisibles, les
chamans superstitieux et les haies superflues.
Pourtant, le nombre de scientifiques s'exprimant sur ces risques majeurs, les mouvements
d'opinions et les actions, symboliques ou non, ne cessent d'augmenter.
Chaque accident,
chaque excès venant au grand jour....
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