Lit-on un récit autobiographique seulement par intérêt pour la personne dont on raconte l'histoire ?
Extrait du document
«
Un récit autobiographique est le récit qu'un individu fait de sa propre vie en contractant ce que Philippe Lejeune
nomme un « pacte autobiographique ».
Ce pacte consiste à écrire un « récit rétrospectif en prose qu'une personne
réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa
personnalité ».
Son corollaire est une exigence de vérité complète et absolue, de sorte que rien de ce qui est écrit
ne soit une affabulation ou ne serait-ce qu'un mensonge par omission : semblables a l'initiateur du genre, Rousseau,
qui dans les Confessions s'engageait à révéler la vérité « Intus et in cute » (a l'intérieur et sous la peau) les
autobiographes sont résolus à ne jamais abuser leurs lecteurs.
La question que nous avons à aborder aujourd'hui consiste à déterminer si l'unique motif qui nous porte à lire un
récit autobiographique est l'intérêt que nous portons à la personne dont nous racontons l'histoire.
Si tel est le cas,
nous ne lisons l'autobiographie d'autrui que parce que nous entretenons des sentiments d'intérêt a son égard, qui le
plus souvent sont réductibles a de la sympathie ou de l'admiration.
Ce serait donc, si nous acceptons cette thèse,
en vertu de cette attirance pour autrui que nous nous portons à lire le requit qu'il fait de sa propre existence.
Cependant, une telle thèse est sans doute contestable pour ce qu'elle a de réducteur : en effet, elle sous entend
que c'est uniquement parce que nous nous intéressons a autrui que nous lisons un récit autobiographique.
Or il se
peut que d'autres éléments interviennent au contraire pour nous porter a lire un récit autobiographique, tels que la
mise a nu du fonctionnement transcendantal de la mémoire sinon l'intérêt qu'en définitive nous portons a nousmêmes, dans la mesure ou nous pouvons établir des passerelles nombreuses entre l'expérience d'autrui et la notre,
de manière a nous en inspirer dans la conduite de notre propre vie.
La question au centre de notre travail sera donc de déterminer si l'intérêt que nous portons a un récit
autobiographique ne s'explique que par celui que nous nourrissons a l'égard de son auteur, ou si au contraire
d'autres raisons ne le déterminent pas, notamment la relation spéculaire que nous entretenons avec nous-mêmes en
découvrant l'expérience d'autrui.
I.
Nous ne lisons un récit autobiographique que pour autant que nous nous intéressions à
celui qui l'a rédigé
a.
L'indispensable attirance préalable pour autrui avant de parcourir son histoire
Dans un premier temps, nous commencerons par dire qu'il est incontestable qu'un lecteur ne lit un récit
autobiographique que parce qu'il est éprouve un intérêt pour l'auteur, ce qui est sans doute l'unique cause d'une
telle démarche.
En effet, si nous prenons la peine de lire l'histoire d'autrui, c'est bien parce que nous éprouvons pour
cette personne au préalable une sorte de sympathie, un mouvement spontané qui nous conduit à vouloir en savoir
davantage.
Par exemple, nous pouvons connaitre cet auteur pour certaines de ses œuvres non autobiographiques,
et désirer ensuite connaitre mieux celui qui les a écrites : une telle démarche est par exemple possible avec
Rousseau, qui était d'abord connu par ses contemporains comme auteur du Contrat social ou du Discours sur
l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, avant de l'être pour sa novatrice entreprise
autobiographique : Les Confessions.
Nous dirons donc que si nous lisons un récit autobiographique, c'est sur le
fondement d'une attirance préalable pour celui qui les a écrites, parce qu'il nous semble a priori digne de notre
intérêt sinon de notre estime.
b.
La relation d'empathie et de séduction entre l'auteur et le lecteur, indispensable pour comprendre l'attrait du
récit autobiographique
Allant plus loin, nous pouvons dire que cet intérêt des lecteurs pour leur personne, les autobiographes en ont
parfaitement conscience et s'efforcent de le cultiver par toute une série de démarches tendant à séduire le lecteur,
a gagner sa sympathie.
Casanova, l'auteur de l'Histoire de ma vie, est l'un des auteurs qui s'entendait le mieux a
cultiver cette sympathie chez son lecteur, comme nous pouvons en juger au moyen de l'extrait suivant :
« Malgré le fond de l'excellente morale, fruit nécessaire des divins principes enracinés dans mon cœur, je fus toute
ma vie la victime de mes sens ; je me suis plu à m'égarer, et j'ai continuellement vécu dans l'erreur, n'ayant
d'autre consolation que celle de savoir que j'y étais.
Par cette raison j'espère, cher lecteur, que bien loin de
trouver dans mon histoire le caractère de l'impudente jactance, vous y trouverez celui qui convient à une
confession générale, quoique dans le style de mes narrations vous ne me trouverez ni l'air d'un pénitent, ni la
contrainte de quelqu'un qui rougit rendant compte de ses fredaines.
Ce sont des folies de jeunesse.
Vous verrez.
»
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