Littérature d'Afrique Noire
Extrait du document
«
La première moitié du XXe siècle aura été celle des mutations intégrales.
Période des découvertes en profondeur, de l'éclairage sous un jour
nouveau de nombre de concepts jadis consacrés.
Dans cette démarche, les ethnologues et les linguistes, les géographes et les poètes ont fait
beaucoup.
Ils ont remis à l'honneur les vertus de la connaissance par sympathie et ont ainsi créé une mystique de la connaissance.
Les savants de
l'atome ne devaient pas tarder à leur " emboîter le pas ".
L'émotion mystique dont parlait Einstein est support de la connaissance par sympathie.
Il
s'est agi d'un retour à l'homme, d'une façon d'aborder les problèmes de celui-ci.
L'évolution des techniques a rendu caduque la notion grecque du
barbare.
L'Occident a été confronté avec des modes de vie, des habitudes, des comportements qui, loin de paraître d'un autre monde, se sont
révélés des éléments enrichissants.
Les peintres de l'École de Paris et les surréalistes avaient été les maîtres d'oeuvres de cette révolution.
Ils
venaient après Léo Frobénius et Gobineau, Baudelaire, Apollinaire et Blaise Cendrars.
Ceux-ci et ceux-là avaient choisi de percer le mystère de ce
que l'Occident qualifiait superbement d'exotisme.
Il est un point sur lequel l'on ne réfléchit pas souvent, c'est celui de la renaissance des civilisations dites barbares sous la poussée de la science et
de la technique.
Il ne s'agit point d'exhumation, mais comme d'un souffle tellurique d'où a jailli un " Message ".
" Du chaos, naît l'étoile qui danse ",
a dit Nietzsche.
L'étoile née du chaos du XXe siècle est d'une luminosité inouïe, qui dit la découverte, et la redécouverte de l'Autre, dans un
univers de pensée, de rites, de rythme.
Tel est le miracle du XXe siècle, le miracle de l'homme.
A ce miracle, l'Afrique Noire et Madagascar ont eu
vocation d'apporter une contribution.
Cet apport ne se chiffre pas, qui est une " Vision spécifique " à contenu dynamique et qui appelle la
participation, parce que souffle, sève et sang, rythme et action.
Pour tout dire, " saisie intégrale de la vie ".
La source que voilà aura vu jaillir la
Négritude et la Malégassitude.
L'on a vite crié au particularisme.
Mais si nous défendons la Négritude et la Malégassitude, ce n'est pas parce
qu'elles sont nos valeurs propres, mais parce qu'elles sont, avant tout, valeurs de l'homme.
Les étudiants noirs et malgaches qui, dans les années 29 à 35, déclenchèrent le mouvement, ne pensaient à autre
chose qu'à amener l'Européen à se pencher sur d'autres valeurs de civilisation qui, pour n'avoir pas été connues en
Occident, n'en demeuraient pas moins valeurs humaines.
Comment pouvait-on entreprendre une expérience aussi
périlleuse ? Il fallait des poètes pour tenter l'expérience culturelle la plus originale de ces temps.
De quoi s'agit-il ?
Lorsque Léopold Sédar SenghorL199, Aimé CésaireL037 et Léon-Gontran DamasL1260 créèrent " l'Étudiant Noir " en 1930 c'était pour affirmer que
leur univers n'était point table rase, qu'ils n'étaient point ceux-là " qui n'avaient rien peint, rien bâti rien chanté, rien dansé et qui n'étaient que
néant, dans le désespoir de leur peau ".
L'Histoire avait enseigné leur passé à ces jeunes gens, venus en Europe pour conquérir les armes
miraculeuses du savoir sur les bancs de la docte Sorbonne.
Ils le disent eux-mêmes, c'est sur la montagne Sainte-Geneviève qu'ils découvrirent
leur réalité culturelle.
Grâce à Léo Frobénius, Westerman, au Baron Roger et à Maurice Delafosse.
Ils avaient entendu les griots d'Afrique, les
diseurs des Antilles.
Ils avaient entendu les hainteny de Madagascar que leur avait fait découvrir un aîné, Jean-Joseph RabéariveloL1742.
Ils
avaient suivi, avec passion, les mutations qui s'imposaient à l'Europe, à la suite de la Première Guerre mondiale.
Il s'agissait non seulement de poser le problème, mais de le résoudre, dans le contexte de l'Histoire.
Les promoteurs de la Négritude et de la
Malégassitude décidèrent alors d'opérer une redescente aux sources originelles de leur peuple.
Ils se rappelèrent que, dans leur pays, la parole est
primordiale, le langage est Action.
Bien sur, ils avaient lu les classiques et BaudelaireL013, ils avaient lu les surréalistes dont le dernier feu follet a
éclairé leur jeunesse estudiantine.
L'Université avait mis à leur disposition un arsenal d'armes.
Eux avaient vocation de forger leurs propres armes ;
les armes miraculeuses conservées intactes et sans rouille, au coeur de la Négritude et de la Malégassitude.
Nos poètes choisirent de faire face à
leur situation, d'aborder celle-ci par la langue du colonisateur.
Entreprise périlleuse que celle qui consiste à se servir des armes de " l'adversaire ".
Il était question de " Dire ", " d'Exprimer " avec sa foi, une volonté de transcendance.
Destin ne pouvait être plus beau que celui voué à la langue
française.
Cette langue qui a permis, un instant, l'unité culturelle et politique de l'Europe et qui devait donner naissance à la conscience nationale
moderne de l'Afrique Noire et de Madagascar.
Il fallait des poètes pour en être les inspirateurs et les artisans.
C'est le phénomène de la Négritude
et de la Malégassitude illustré par Léopold Sédar SenghorL199, Birago DiopL1285, David Diop, Bernard DadiéL1259, Gérald Tchicaya, Paulin
Joachim, Ferdinand OyonoL1673, Mongo BetiL1110, en Afrique Noire ; Aimé CésaireL037, Léon-Gontran DamasL1260, Gilbert Gratiant, Étienne
Léro, Paul Niger et Guy Tirolien, aux Antilles ; Jean-Joseph RabéariveloL1742, Jacques RabémananjaraL1743 et Flavien Ranaivo, à Madagascar.
Nos poètes choisirent " d'être la voix de ceux qui n'ont plus de voix ".
Les voici sollicités de part en part.
En même
temps qu'ils écrivent, ils ordonnent la vie de leur peuple.
Il s'agit d'un même élan, sous-tendu par la passion du
Beau, par la flamme de l'Action.
Et les critiques non avertis disent cette littérature " politique ", " engagée ",
" particulariste ", " raciste ".
A cette avalanche d'expressions, il est aisé de faire face, en invitant nos critiques à
opérer avec nos poètes une descente aux sources de la Négritude et de la Malégassitude, où l'Art pour l'Art est
absence de l'art, où le poème est parole plaisante au coeur et à l'oreille, faite par tous et pour tous ; où la parole
primordiale du Troisième Jour est sens de toute vie ; où la vie est sous-tendue par la vision sans limite du poète,
homme qui porte dans sa tête des " choses cachées ".
Passion du Beau, passion de l'Homme, dans un faisceau
lumineux de convergence.
Les vertus que voilà s'expriment à travers images, symboles, métaphores et rythmes.
Elles disent plus que signe.
Elles ont pouvoir de vous " saisir " jusque dans le tréfonds.
Attitude despotique qui est
" sensation ", par excellence, émotion devant le Beau et l'incommensurable.
Et les mots fusent.
Alors se déroule
sous les yeux du lecteur un chapelet d'évocations.
Aux oreilles du lecteur je préfère du participant un faisceau
d'intonations, de tons qui mêlent dans un même mouvement les accents de hauteur et d'intensité.
L'ensemble
reposant sur les temps forts.
Et les images se dépouillent.
Avec elles, apparaissent de nouvelles catégories
grammaticales.
Je veux dire, cette manière d'éclairer le temps, la distance, la forme, la couleur.
Mais aussi,
l'absence de ces mots outils, si chers aux grammairiens et sans lesquels, semble-t-il, il ne saurait y avoir de
construction orthodoxe.
Les mots de nos poètes ne sont soudés que par leur seul sens.
Tel est l'apport de l'Afrique
et de Madagascar à la francophonie..
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