L'oeuvre de DIDEROT
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«
Peu d'écrivains ont plus complaisamment parlé d'eux-mêmes dans leurs ouvrages que Diderot.
Sa personnalité
s'étale partout, mais c'est dans sa correspondance et surtout dans ses lettres à Sophie Volland qu'elle se révèle et
s'exprime le plus complètement.
Échelonnée entre 1759 et 1774, cette correspondance présente le journal intime
de sa vie, de son âme et de sa pensée, à l'époque la plus brillante de sa carrière littéraire.
LE JOURNAL D'UNE VIE
Le cercle de famille.
Nous pénétrons dans l'intérieur de sa famille, d'abord à Langres, où il est revenu en 1759
pour recueillir sa part d'héritage, à la mort de son père : il essaie de jouer le rôle délicat de conciliateur entre une
soeur vive et gaie et un frère triste et fâcheux; mais la monotonie de la vie provinciale s'accommode mal avec la
mobilité de son caractère.
Le voilà à Paris, rue Taranne : sa vie conjugale n'est guère attrayante; sa femme,
dévouée, mais tracassière, l'a vite rebuté par son esprit borné; il s'ennuie chez lui, dans un milieu platement
bourgeois.
Par bonheur, il a sa fille Angélique, dont il est « fou à lier » : éducateur patient, il en fait entre ses
mains un instrument docile, se flatte de lui donner des leçons de vertu et de la former à sa propre image.
Le cercle des amis.
Malgré tout, Diderot est peu fait pour la vie de famille.
Aussi passe-t-il son temps de
préférence tantôt à la Chevrette chez son ami Grimm et Mme d'Epinay, tantôt rue Royale ou au Grandval, chez le
baron d'Holbach.
Le salon du baron est à Paris un des centres les plus brillants et les plus bruyants du mouvement
encyclopédique.
Là, se réunissent les grands prêtres de la philosophie du temps : Condillac, Turgot, Rousseau,
Helvétius; là, il peut donner libre cours à sa verve intarissable et à ses folles fantaisies.
Au château de Grandval, il
retouve le sarcastique Grimm, le divertissant abbé Galiani, la facétieuse Mme d'Aine; il discute de physique avec
le baron ou se lance dans de virulentes attaques contre la religion et ses ministres, dirigeant le choeur de tous ces
révoltés, qui veulent substituer la loi de nature aux prescriptions de la morale et de la religion.
Le roman sentimental.
Mais, qu'il soit à la Chevrette, au Grandval ou à Paris, Diderot entretient un perpétuel
commerce de lettres avec Sophie Volland, dont il a fait la connaissance en 1755.
L'âme si mobile de Diderot sut se
fixer pendant plus de vingt ans dans la grande passion que lui inspira cette petite bourgeoise sensible, intelligente
et spirituelle, lectrice éclairée de tous les philosophes et amie des beaux-arts.
Avec elle, Diderot se laisse aller
aux confidences intimes, aux bavardages candides.
L'amour a été la satisfaction la plus profonde qu'il ait donnée
à son besoin d'épanchement : ce roman de l'âge mûr a épanoui son coeur et enrichi son âme.
LE JOURNAL D'UNE AME
La sensibilité.
Chez Diderot, la sensibilité l'emporte sur le jugement et la raison : c'est un homme de première
impulsion, incapable de dominer son tempérament.
De l'excès même de cette sensibilité découle le caractère
essentiel de sa physionomie : une tendance perpétuelle à l'exaltation et à l'outrance.
« Il me semble, écrit-il, que
j'ai l'esprit fou dans les grands vents.
Quelque temps qu'il fasse, c'est l'état de mon coeur.
» Diderot est toujours
entraîné par sa fougue.
Il est extrême en tout, en amitié comme en amour; il saute au cou de ses amis, les
presse dans ses bras avec émotion, ne peut s'empêcher de balbutier et de pleurer; à la seule pensée de revoir
Sophie Volland, il éprouve « un frissonnement dans toutes les parties du corps et presque la défaillance ».
L'imagination.
Cette sensibilité, pourtant, n'est qu'à fleur de peau; « elle ne va pas plus loin que l'émotion »,
notait Mlle de Lespinasse.
C'est la sensibilité d'un imaginatif.
Parfois même, en l'absence de tout sentiment réel,
l'imagination seule entre en branle.
« Rien n'est plus commun, reconnaît-il, que de prendre sa tête pour son
coeur.
» Il s'échauffe alors à vide et supplée à la faiblesse du sentiment par une chaleur factice qui réside tout
entière dans les mots : ainsi son enthousiasme pour la vertu et son indignation contre le vice ne sont souvent
qu'un pur entraînement de tête, une matière offerte à son goût pour la déclamation.
Ce n'est pas qu'il soit
hypocrite, mais il est comédien par constitution native : tout lui est une scène et une situation; il n'est jamais
vraiment lui-même, il est toujours dans un rôle.
LE JOURNAL D'UNE PENSÉE
L'enthousiasme.
Sa nature sensible le prédispose à l'engouement.
« Il est vrai, écrit-il, que je suis porté à
négliger les défauts et à m'enthousiasmer des qualités.
» Mais son enthousiasme manque de mesure et fausse
parfois ses jugements : ainsi, il déclare que « Pline est un des hommes les plus rares qui aient fait honneur à
l'espèce raisonnable »; il n'hésite pas à mettre l'obscur Mercier de la Rivière au-dessus de Montesquieu.
D'ailleurs,
il est aussi prompt à l'admiration pour lui-même que pour les autres et il s'écrie naïvement, à propos du Rêve de
d'Alembert e Il n'est pas possible d'être plus profond.
»
L'illogisme.
La mobilité de son esprit l'entraîne à l'incohérence.
Il reconnaissait lui-même qu'il n'avait pas « la
partie indispensable du génie : la raison ordonnatrice ».
Quelquefois, dans la même page, il raisonne en
matérialiste, puis en spiritualiste; ici, il explique toutes nos actions par l'intérêt, là, il exalte la vertu avec
conviction.
La contradiction semble être le nerf de son esprit.
L'audace.
Enfin, sa nature fougueuse explique la singulière hardiesse de son oeuvre.
Cette oeuvre est moins une
théorie qu'une dialectique enflammée, une invective infatigable contre toutes les formes de la tyrannie,
intellectuelle, morale ou religieuse.
On sent à cette fureur de destruction que les jours de la Révolution française
sont proches..
»
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